Il aurait eu 100 ans le 4 août, le « jeune homme vert » qui nous a quittés à l’âge de 96 ans, le 28 décembre 2016, nous délivrant cet ultime message d’optimisme : « Les Dieux existent encore et nous sommes leurs enfants ! » Michel Déon qui a fait découvrir et aimer la Grèce à des générations de philhellènes dont il a été la référence absolue, le guide éclairé. « La Grèce est en moi jusqu’à mon dernier souffle », avouait-il sans ambages à ses lecteurs. Ses livres à la main, nous avons couru et courrons encore au Rendez-vous de Patmos, ou du Balcon de Spetsai, d’Hydra ou d’Ithaque…, toutes ces îles magiques qu’il parcourait inlassablement, où il a vécu avant de se retirer en Irlande, « la Grèce du Nord ». Et sur les landes du Connemara peuplées de fées et de fantômes, sillonnées en Taxi Mauve à la rencontre des derniers Poneys sauvages, le dernier Hussard, compagnon de Nimier, Blondin et Laurent, ne reniera rien de son « histoire d’amour avec la Grèce qui n’aura pas de fin »… L’entretien que Michel Déon nous avait accordé, entre deux séances de l’Académie française, et que Boulevard Voltaire avait publié en 2016.
Un jour, Michel Déon, vous avez quitté le soleil de Spetsai pour les brumes de l’Irlande, vous avez déserté, oui, déserté la Grèce…
D’abord, je n’ai pas « déserté » la Grèce, mais après une dizaine d’années sans guère quitter mon île de Spetsai, j’ai dû, pour mon travail et l’éducation de mes enfants, passer un hiver au Portugal, puis des hivers en Irlande.
Le parfum de ces îles, Spetsai, Patmos, Hydra, leur séduction n’opéraient plus, un peu comme une histoire d’amour qui se terminait ?
C’est vrai que je me suis installé ailleurs sur la pression des changements qui s’opéraient autour du Paleo Limani (vieux port) de Spetsai. Là où nous étions quelques complices à peupler ce cap admirable et, autrefois, désert sont venus se coller à grands frais et grands bruits de puissantes et vulgaires fortunes sans aucun respect pour les traditions et l’architecture de l’île. […] Mais je peux vous garantir que, même si je n’y vis plus, la Grèce est en moi et dans mes livres jusqu’à mon dernier souffle. Mes écrits en témoignent avec la même ferveur qu’à la première révélation. Une histoire d’amour qui n’aura pas de fin…
Ici comme ailleurs, le temps de la « splendeur nue » est révolu. Même défigurée, la vie grecque garde-t-elle une partie de sa magie ?
Naturellement, la vie grecque a gardé de sa magie. Il suffit de s’éloigner des centres touristiques, de choisir sa saison (les hivers et les printemps sont sublimes), ses amis et, surtout, d’emporter avec soi quelques livres essentiels qui abolissent les siècles. Et fuir le kitsch, le toc, le préfabriqué, le luxe grossier des nouveaux riches, les moteurs, une triste architecture moderne. Je hurle quand, à une question posée en grec, on me répond en pidgin anglais…
Les dieux ont quitté la Grèce, Apollon s’est-il suicidé ?
Oubliez ça et trouvez dix minutes de silence sur l’Acropole, au cap Sounion, à Patmos, face à un coucher de soleil ou à une aube radieuse. Alors, vraiment oui, les dieux existent encore et nous sommes leurs enfants.
J’ai lu quelque part que « l’âpre Irlande convenait mieux à votre désenchantement stendhalien… »
« L’âpre Irlande » n’a rien à voir avec ce que vous appelez un « désenchantement stendhalien ». C’est un pays assez rude malgré ses fées et ses fantômes qui me tiennent éveillé. J’aime être fouetté par le vent et la pluie, pincé par le froid qui donnent l’illusion d’exister.
Irlande ou Patagonie, il ne reste plus beaucoup de terres sauvages pour les hommes assoiffés de liberté…
En ce qui concerne la liberté, il y a longtemps que j’en ai fait mon affaire personnelle et ne me suis pas trop mal défendu dans ce monde où, chaque jour, on attente je ne dirais pas à notre liberté mais à nos libertés.
Propos recueillis par José Meidinger.