Le Grand Siècle, soit le XVIIème siècle, a été illustré en France par un grand nombre de saints : parmi les plus fameux figurent saint François de Sales ou saint Vincent de Paul. Ce siècle a été aussi celui des plus grands penseurs ou écrivains catholiques de langue française, comme Bossuet. On ne les lit ou relit jamais assez.
Nicolas Barré (1621-1686) est de ses innombrables saints, pour la plupart inconnus ou oubliés, du Grand Siècle. Il n’a été béatifié formellement qu’en 1999. Cette date tardive est un des facteurs de son manque de notoriété. Il ne s’est agi dans cette canonisation tardive que de la réparation manifeste d’un oubli historique. Cet oubli s’explique parfaitement par la disparition des archives des minimes en France à la Révolution française, un siècle après sa mort. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, le processus de canonisation est alors particulièrement long et scrupuleux. Il y avait aussi, à cette époque bénie, de très nombreuses âmes exemplaires méritant l’attention spéciale postérieure de l’Eglise. Tout dans l’action de Nicolas Barré, animé par la doctrine la plus pure – que l’on retrouve dans ses écrits, pour beaucoup conservés, et réédités au Cerf en 1994 -, atteste de sa sainteté.
Madame Dominique Sabourdin-Perrin, historienne professionnelle, qui maîtrise l’histoire religieuse et ses spécificités – ce qui n’est plus forcément évident de nos jours – en propose donc la biographie. Elle est illustrée de documents d’époque photographiés. Ces illustrations raviront les historiens. Le livre, bien écrit, au ton simple, juste, précis, se lit facilement, en quelques heures. L’auteur a réussi à vraiment rendre compte de la vie d’un saint, et cette biographie peut véritablement contribuer à l’édification du chrétien.
Le lecteur est enchanté de découvrir un saint édifiant qu’il ne connaissait pas. Nicolas Barré n’était connu que de rares spécialistes, et cette biographie accomplit une œuvre très utile de vulgarisation, au meilleur sens du mot. Nicolas Barré, minime exemplaire, s’est beaucoup investi dans l’œuvre de l’éducation des enfants de milieux urbains déshérités. Cette biographie rappelle que l’Eglise n’a pas attendu le XIXème siècle pour « découvrir » la question sociale ! Elle a toujours encouragé, dès ses origines, les œuvres de charité.
Nicolas Barré, un minime exemplaire, a la recherche de sa voie particuliere à la suite du Christ
Originaire d’Amiens, d’un milieu bourgeois plutôt aisé, Nicolas Barré, après une scolarité chez les Jésuites, a choisi de tout quitter pour servir Dieu. Il faut remarquer que ce choix a été parfaitement respecté et compris par sa famille, pieuse. Nicolas Barré a effectué le choix radical des minimes, qui suivent une interprétation particulièrement stricte et rigoureuse de la règle franciscaine. Les minimes, d’origine italienne, ont été invités en France avec leur fondateur saint François de Paule par le roi Louis XI dans la deuxième moitié du XVème siècle. Leur rigueur, leur observance stricte, font qu’ils correspondent parfaitement deux siècles plus tard aux fortes exigences de la réforme catholique. Ce choix décisif et essentiel a été effectué par Nicolas Barré à 19 ans. A cet âge, au XVIIème siècle, on possède une détermination, une volonté, une maturité, que l’on retrouve très rarement au même âge en 2018. Minime modèle, il a été ordonné prêtre en 1645.
Ces minimes se sont livrés à cette époque à des austérités difficilement imaginables de nos jours. Leur logement et leur nourriture ont été, de propos délibéré, des plus sommaires. Le lecteur est saisi d’admiration en les retrouvant au fil du récit. Ces minimes ont été par ailleurs des personnages particulièrement équilibrés, instruits et instructeurs, au contact du monde afin de le sanctifier. Ces descriptions rappellent que le chemin de la sainteté n’est absolument pas dépourvu d’exigences ! La spiritualité franciscaine en particulier se nourrit de ces austérités et mortifications. Ainsi, elle n’est pas du tout une mentalité de fête joyeuse permanente teintée de discours poétique écologiste, à la limite du panthéisme, comme on veut le faire croire couramment, suivant un contresens complet, de nos jours.
Nicolas Barré lui-même se comprend pleinement dans le cadre de son appartenance aux minimes. Il a été un modèle de soumission à la règle. Face aux injustices des hommes, qui ont tenu à lui faire parfois de mauvais procès, son dépouillement et sa générosité évidents ont su convaincre les juges et souvent les accusateurs eux-mêmes.
Nicolas Barré a cherché à trouver le mode d’expression choisi pour lui par la Providence. Ses prédications étant appréciées à Paris, il aurait pu devenir le familier de grands personnages. De 1645 à 1655, il a été en effet le bibliothécaire et professeur de théologie du couvent de la Place Royale à Paris (future Place des Vosges). C’est alors un poste important, avec un accès à la plus riche bibliothèque de Paris du XVIIème siècle. Cette biographie de Nicolas Barré ravira les amateurs d’histoire en donnant au fil du récit beaucoup d’informations essentielles sur cette époque, et trop peu connues. Cette tentation mondaine, sous couleur de bien – car il aurait pu orienter pour le mieux les dons des riches dirigés -, le saint y a renoncé pour mener, véritablement au jour le jour, à Rouen surtout, mais aussi à Paris et Reims, des actions enseignantes pour les enfants pauvres, de 1659 à sa mort en 1686. Par dizaines, ces petites écoles ont essaimé de son vivant dans toute la France, jusqu’à Toulon, et même au Canada !
Nicolas barre, le fondateur d’ècoles pour enfants pauvres
Nicolas Barré a été animé par une charité immense. Son action en faveur des enfants fait inévitablement penser à celle de saint Vincent de Paul. Il a songé aux paroles du Christ : « Laissez venir à moi les petits enfants ! ». Il a malheureusement constaté que la société, pourtant en principe très catholique en son temps, n’a pas tout fait pour amener au Christ les petits enfants ! Il y avait là un immense scandale, qu’il a justement dénoncé, et contre lequel il a voulu réagir.
Nicolas Barré s’est en effet particulièrement intéressé à la transmission de la foi chrétienne. Il avait découvert à sa grande stupeur, et c’est d’ailleurs fort intéressant pour l’historien de l’apprendre également, une déchristianisation en plein de XVIIème siècle de certaines populations misérables et mouvantes dans les grandes villes. Bougeant beaucoup, à la recherche de travail, les artisans les plus pauvres, hors du cadre des corporations et, du fait de leur mobilité, hors du cadre des paroisses urbaines ou rurales, sont souvent tombés dans une pratique des plus irrégulières voire nulle. Cette irrégularité des parents se traduit logiquement dans une irrégularité encore plus grande pour les enfants, avec des enfants non catéchisés, voire non baptisés. L’absence de baptême est un scandale absolu au XVIIème siècle. Il est en soi tout aussi grave de nos jours, et devrait être perçu et dénoncé comme tel par les autorités ecclésiastiques, surtout avec le caractère massif de cette négligence – plus de la moitié des enfants n’est plus baptisée en France. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Nicolas Barré, lui, a voulu venir en aide à ces âmes en péril.
Nicolas Barré a conçu ses petites écoles d’urgence comme devant avant tout transmettre la foi chrétienne. Il les a nommées écoles charitables du Saint Nom de Jésus. Ce patronage relève à la fois des traditions franciscaines les plus authentiques et des dévotions nouvellement développées au XVIIème siècle, comme précisément celle du Saint Nom de Jésus. Nicolas Barré n’a nullement séparé le salut des âmes de l’éveil des intelligences, et a pensé des programmes devant transmettre des savoirs élémentaires. Mieux conçus que ceux des petites écoles d’origine médiévale en place, ils ont éveillé dans un premier temps, bien à tort, des jalousies. Nicolas Barré, à rebours de certaines idées du temps considérant l’ignorance des pauvres comme inévitable, voire souhaitable, a tenu au contraire à pouvoir proposer à tous les enfants des écoles primaires un niveau de savoir décent. Cet enseignement a été proposé aussi bien aux petits garçons qu’aux petites filles. Là encore, il a affirmé, contre certains préjugés, qu’il est très utile aussi aux femmes de savoir lire et compter, ne serait-ce que pour bien tenir un commerce. Ces enfants éduqués ont en sortant des écoles plus que de perspectives professionnelles que leurs parents.
Dans sa préface, fondamentalement juste, même si quelques tournures ironiques peuvent peut-être dérouter en cas de lecture trop rapide, Mgr Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens, a rattaché cette œuvre de Nicolas Barré au souci constant d’enseignement de l’Eglise. Non, contrairement à tous les clichés anticléricaux des XVIIIème et XIXème siècles, largement présents de nos jours dans les médias et discours publics, l’Eglise n’a jamais cherché à dominer des troupeaux d’ignorants, et surtout maintenus dans leur ignorance…Mais elle a au contraire, suivant les possibilités, parfois réduites, des temps, tout fait pour favoriser l’instruction des fidèles.
Ces petites écoles de Nicolas Barré ont fonctionné grâce au recours à des institutrices compétentes, recrutées par le saint. Il s’est agi soit de jeunes filles de bonnes familles d’un dévouement exemplaire aussi, et bénévoles, soit d’employées à salarier, correctement et régulièrement. Parmi tous les problèmes pratiques, s’est aussi posée la question du lieu d’implantation de ces petites écoles. Nicolas Barré a cherché évidemment à les placer là où il y a avait des besoins, dans les quartiers pauvres des villes, afin d’épargner des trajets aux enfants, et de mieux s’assurer de leur régularité à l’école par la possibilité de visites aux familles en cas d’absences. Mais il a été souvent plus facile, pour des raisons de droit complexe de l’époque, de les implanter hors les murs, comme à Sotteville-lès-Rouen, sur la rive méridionale de la Seine, plutôt que dans la ville même de Rouen, sur la rive septentrionale. Sans jamais ennuyer par des longueurs, ces inévitables considérations techniques sont bien décrites dans la biographie. Beaucoup de saints sont en effet doués d’une force morale considérable, d’une vie de prières intense, mais aussi d’un esprit pratique impressionnant.
Cette œuvre scolaire ne peut qu’éveiller l’admiration. Tout au plus, avec le recul, peut-on déplorer, comme beaucoup de personnes pieuses du temps, un refus excessif d’institutionnaliser ces petites écoles, et de passer du provisoire au définitif. Il faut y voir un attachement strict à la règle initiale de saint François d’Assise, louable en soi, mais pas adaptée forcément à cette œuvre enseignante.
Nicolas Barré est un saint absolument admirable, et son œuvre éducative est particulièrement à redécouvrir à l’heure du naufrage de l’enseignement en France.
Dominique SABOURDIN-PERRIN, Nicolas Barré, un minime du Grand Siècle, Salvator, 2018, 352 pages, 22 €