S’il est une vache sacrée dans le discours politique français, c’est bien le respect dû aux transports en commun. À cela plusieurs raisons. Tout d’abord, dans un pays centralisé comme la France où la bureaucratie étatique a toujours voulu asseoir son emprise sur les territoires et la population, un réseau de transports publics radio-concentriques, autour des grandes villes et notamment de Paris, correspondait parfaitement aux intérêts et aux fantasmes de la classe dirigeante.
C’est l’œil humide que Mitterrand inaugura naguère le premier TGV voulu par Valéry Giscard d’Estaing, et c’est la même substance lacrymale qui embue depuis trop d’années l’iris de tous les maires et autres roitelets d’intercommunalité quand ils coupent le ruban de leur nouveau tramway. Tous ces gens sont à la recherche de concret pour se rassurer sur leur utilité et, puisqu’il est devenu incorrect de se construire des palais municipaux ou départements, au moins ce type d’équipement bénéficie-t-il de l’onction des bien-pensants.
À ces considérations terrestres est venue en effet s’ajouter la bénédiction donnée par les écologistes. Le transport en commun serait ontologiquement moins polluant que l’affreux transport individuel et notamment l’incarnation du diable à quatre roues: la voiture! Ce seul mot fait frissonner par temps de réchauffement climatique, ce qui est en soi un phénomène paradoxal.
Naturellement, tout cela est sujet à caution. Le bilan environnemental d’un équipement comme le tramway parisien, dont l’installation a occasionné autour de lui des années d’engorgement polluant et qui continue à congestionner des quartiers entiers, reste à faire. Tout comme on peut s’interroger sur l’utilité sociale de faire rouler des bus aux trois quarts vides plusieurs heures par jour sur un nombre non négligeable de lignes alors que le transport individuel a le grand mérite de n’être sur la route que quand son utilisateur en ressent le besoin ou l’envie.
Ce type de débat, souvent polémique, peut durer à l’infini car les chiffres des observatoires des déplacements ou les études financées par les associations d’automobilistes sont fabriqués pour servir a priori leurs commanditaires.
De plus, l’émergence du moteur électrique, de la conduite automatique ou de la pile à combustible vont dans le futur bouleverser toutes les prévisions échafaudées par les maîtres de nos horloges et de nos carburants.
Reste que la multiplication des pannes, ratés, retards, grèves et autres dysfonctionnements observés ces derniers mois à la SNCF ou la RATP montre comment ce débat risque d’être tranché. Tout comme la situation de péril financier dans laquelle s’enlise Air France.
Car le constat tient en une phrase: à l’instar de la bureaucratie étatique qui le commandite, le système de transports publics en France est en train de succomber sous le poids de sa lourdeur.
Quand on voit Guillaume Pépy, président de la SNCF, passer le plus clair de son temps en ronds de jambe avec les politiciens et les médias ; quand on observe la pauvre Anne Hidalgo, après Delanoë, se débattre dans l’échec total de sa politique de transports qui a englouti des milliards d’euros, quand on s’effraie de l’absence de pilote dans le cockpit directorial d’Air France, quand les méfaits croisés du capitalisme de connivence, de la communication et du syndicalisme dévastent les comptes d’exploitation et vampirisent les poches des contribuables, on se dit que ce système est à bout de souffle.
Symbole du métissage entre grands projets industriels et urbains d’un côté et petits calculs politiciens de l’autre, la politique du transport public «à la française» est en train de s’effondrer sous nos yeux. La reprise de dizaines de milliards de dette par un Etat lui-même impécunieux, le puits sans fond du Grand Paris Express, toujours plus en retard, toujours plus coûteux et toujours à la merci des rivalités entre élus et des projets ronflants comme les Jeux olympiques: les exemples se multiplient de cette suffocation lente.
Il est temps de mettre un terme à cette dérive en repartant d’une réalité fondamentale: quels sont les besoins des Français qui veulent se déplacer et combien sont-ils prêts à payer pour cela? Sans que leurs calculs soient faussés par les avalanches de charges et de taxes que des décideurs aussi imbus de leurs pensées que démentis par la réalité leur imposent toujours plus.
C’est à cette grande opération de vérité des comptes et des résultats que la multiplication des incidents actuels conduira.
Car, bientôt, le seul mode de transport collectif à la disposition des Franciliens en général et des Franciliens en particulier portera un nom archaïque: la galère.