Alain Le Caro a participé en 1982 à la fondation du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), l’organisme chargé d’assurer la sécurité du président de la République, qu’il a aussi dirigé sous la présidence de François Mitterrand.
Il a également occupé le poste de colonel de gendarmerie et celui de patron du GIGN, l’unité d’élite de la gendarmerie nationale. Il a publié l’année dernière Les mousquetaires du Président. GSPR: dans les secrets de l’Élysée (2017, Fayard), un récit dans les coulisses de la «mitterrandie».
FIGAROVOX.- Vous avez fondé et dirigé le GSPR (Groupe de sécurité de la présidence de la République) qui s’occupe de la sécurité du Président depuis François Mitterrand, dont vous avez été le premier protecteur. Quel regard portez-vous sur l’«affaire Benalla»? Comment expliquez-vous les agissements de cet homme au regard de votre expérience à la tête de la sécurité de l’Élysée?
Alain LE CARO.- Je me pose beaucoup de questions, et deux dimensions dans l’affaire me préoccupent particulièrement. D’abord, en ce qui concerne le 1er mai, je ne vois pas à quel titre ce monsieur intervenait au sein d’une manifestation à laquelle le président ne participait pas. Je ne vois pas le rapport qu’il peut y avoir entre une éventuelle responsabilité sécuritaire autour du président et la participation de Monsieur Benalla en tant qu’observateur à des manifestations qui n’ont rien à voir avec un déplacement présidentiel.
Ma deuxième interrogation tient au rôle et à la responsabilité qu’avait Monsieur Benalla au sein de l’Élysée, et si elle avait trait, ou non, à la sécurité du président. Son titre officiel est celui d’«adjoint auprès du chef de cabinet». Or le chef de cabinet du président de la République est chargé d’organiser les voyages du président en France et à l’étranger, ce qui n’implique absolument pas de veiller à sa sécurité. S’il dépend du chef de cabinet du président, il n’est pas censé avoir de responsabilité dans sa sécurité: cela appartient au patron du GSPR…
Sa proximité permanente auprès du président, qui laisse supposer qu’il s’occupait de ses affaires personnelles, peut certes s’expliquer en raison du rôle de coordination de son supérieur: le chef de cabinet du président, grâce à qui il peut connaître les dispositions prises en matière de sécurité. Mais en aucun cas cette fonction ne lui donne droit d’avoir à décider des mesures de sécurité à prendre.
La question est donc la suivante: Benalla a-t-il pris des décisions de sécurité? Je ne suis pas en mesure de le dire.
Cette situation est très préoccupante pour la sécurité de l’Élysée : quand émergent des circuits parallèles, c’est catastrophique pour la sécurité du président.
Ce que je suis en mesure de dire, par rapport aux fonctions que j’ai occupées en tant que patron du GSPR, c’est que je n’aurais jamais laissé qui que ce soit prendre des dispositions particulières en matière de sécurité qui concerne ma propre responsabilité vis-à-vis du président en personne. Je n’avais, en ma qualité de patron du GSPR, de comptes à rendre qu’au président, car j’assurais sa sécurité personnelle. C’est seulement pour cette raison que j’avais à connaître toutes les mesures prises en matière de sécurité générale…
Peut-on parler d’un «service de sécurité parallèle»? Qu’est-ce que cela implique pour la sécurité du président? Est-ce préoccupant?
Compte tenu de ce que je sais du fonctionnement de la sécurité à l’Élysée, et si tel est le cas qu’il y aurait une «sécurité privée», je peux affirmer qu’il aurait été inconcevable pour moi d’admettre qu’un homme inconnu et venant de l’extérieur vienne court-circuiter mes actions dans cette responsabilité. Car si cela ne marchait pas, le risque était fort que je «saute», et c’était justifié dans le principe: j’étais en charge de la vie privée et «super-privée» du président, et de la protection des secrets de sa deuxième famille (Madame Pingeot et sa fille Mazarine, qui était le point faible du président).
Cette situation est très préoccupante pour la sécurité de l’Élysée: quand émergent des circuits parallèles, c’est catastrophique pour la sécurité du président. Celle-ci ne tient pas seulement d’une présence auprès du chef de l’État, c’est beaucoup plus profond que cela: il y a toute une organisation derrière, et pas seulement avec des gens qui agitent des brassards et des postes radios. J’ai l’impression que ce monsieur, par tous les pouvoirs qui lui ont été laissés, que la Cour qui entoure le président lui a laissé, et parce qu’il avait l’oreille du président, avait la pleine liberté de faire toutes ces choses-là.
On ne peut pas admettre qu’il y ait des gens qu’on ne contrôle pas et qui ne vienne d’on ne sait où, cela met en danger la sécurité du président
Et personne ne semble être venu contrarier ses agissements… Quand j’entends aujourd’hui le ministre de l’Intérieur dire qu’il n’était pas au courant, on est dans l’invraisemblable.
Les policiers du GSPR qui avaient des difficultés avec Benalla avaient bien dû l’en informer: la place Beauvau est juste à côté de l’Élysée! Il est évident que des problèmes entre lui et le GSPR lui sont remontés aux oreilles… Avoir dans les pattes quelqu’un qui n’appartient pas au dispositif de sécurité et qui agit à l’encontre de la sécurité, et même de la discrétion (pour être discret il faut pouvoir bien contrôler ses effectifs, et être sur des hommes qu’on y met) est préjudiciable pour le GSPR. On ne peut pas admettre qu’il y ait des gens qu’on ne contrôle pas et qui ne vienne d’on ne sait où, cela met en danger la sécurité du président et la discrétion qui doit entourer ses déplacements privés.
Emmanuel Macron s’est-il mis en danger?
Oui, dans ces circonstances il convient de le dire! Si ce monsieur a occupé la sécurité du président en parallèle des services officiels, de la police et de la gendarmerie, alors je dis que oui, il s’est mis en danger. Car dans ce contexte les deux éléments les plus importants ne seraient plus vraiment contrôlables: la sécurité et la discrétion. Et celles-ci ne peuvent être associées qu’en étant confiés à un service officiel, avec un responsable et une organisation cohérente qui permettent de garder le contrôle. Et quand il y a des éléments extérieurs non contrôlés qui viennent perturber à la fois le dispositif et les mesures prises, alors oui, on peut se poser beaucoup de questions.
En tant qu’ancien responsable de la sécurité de l’Élysée et par ce que j’ai eu à faire avec François Mitterrand, je peux affirmer que contrôler la sécurité, c’est aussi contrôler le renseignement. Certaines informations ne doivent pas sortir, ce qui implique d’être très précautionneux avec les gens venant de l’extérieur, qui plus est des personnes incontrôlables comme cet individu dont, par ailleurs, on ne connaît pas le passé. On dit qu’il est expert en sécurité, mais quelle est sa formation? D’où vient-il? En qualité de responsable de la sécurité du président, j’aurais approfondi le sujet et mis les choses au clair devant le président en personne. C’était le sens de ma mission. Même au cabinet on ne parlait pas de la vie privée du président, j’en étais le seul responsable, c’est un circuit très fermé. Il est donc assez inquiétant qu’un individu qui vient d’on ne sait où ait pu dépasser la fonction de chef du GSPR.
Il faut replacer les responsabilités de chacun dans le contexte de l’Élysée. Si ce qu’on dit est vrai, c’est extrêmement troublant, et de nature à mettre en doute la sécurité du président, avec des gens qu’on ne connaît pas et qu’on ne contrôle pas, si proche de lui soit ce monsieur Benalla. Entre le patron du GSPR et Benalla, il ne pouvait pas y avoir deux chefs, c’était au président de prendre la décision…
Propos du colonel de Gendarmerie (er) Alain LE CARO
recueillis par Etienne CAMPION
Figarovox
Rediffusé sur le site de l’ASAF : www.asafrance.fr