La France (homophobique) vue du Canada…

Un supermarché Casino de Niort, dans les Deux-Sèvres, peint sur le bitume de son stationnement des dessins indiquant que certains espaces sont réservés aux familles avec de jeunes enfants. Sauf que le dessin, rose, avec un papa, une maman, un petit garçon et une petite fille, ressemble à s’y méprendre à l’emblème familial utilisé par les opposants au mariage gai durant le débat sur la question, il y a deux ans.

Sur les réseaux sociaux, la polémique éclate. «Et nous, on fait nos courses où?», demandent des homosexuels. «Je boycotte», répondent d’autres. Le journal local, Le Courrier de l’Ouest, fait état de l’affaire et ajoute de l’huile sur le feu en concluant ainsi: «D’ailleurs, il n’y a aucune raison d’assimiler un couple avec deux enfants à une vision de cauchemar. Ou c’est le monde à l’envers.»

La phrase est par la suite effacée du site web de la publication, mais l’histoire est reprise par les médias nationaux. Le supermarché, cité par LeCourrier, invite à ne pas tirer de conclusions. «Cette signalétique est classique et visible ailleurs. On n’a eu qu’un seul cas d’un homme venu protester, évoquant La Manif pour tous, mais il voulait faire l’intéressant», explique le représentant du supermarché cité par le journal.

Réactions outrées

Peu importe. Les réactions outrées se font entendre sur les réseaux sociaux.

Tempête dans un verre d’eau, rétorque Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, militante chrétienne et figure de proue de l’opposition au mariage entre conjoints de même sexe. «Ce logo, il existait avant La Manif pour tous», affirme-t-elle en entrevue à La Presse. «Je trouve ce débat superfétatoire.»

Anthony Roux, vice-président de SOS homophobie, dit au contraire qu’il y a de quoi se poser des questions, même s’il ne faut pas tomber dans la «paranoïa». Il estime que le choix du supermarché, même s’il a été fait sans intention de provocation, aurait pu être mieux avisé. «Cela peut être perçu comme blessant pour une partie de la clientèle», dit-il. Quant à la réaction du journal local, elle lui a semblé «gênante et mal venue».

Déchirements

Aussi minime soit-elle, cette affaire survient dans une France qui se remet difficilement des déchirements causés par l’adoption en 2013 de la nouvelle loi sur le mariage entre conjoints de même sexe.

La loi, rappelons-le, a fracturé la France en deux. Mais elle a aussi ouvert la porte à un débat sur l’homosexualité que le pays de Marcel Proust n’avait jamais entendu. Soudainement, le pays a pris connaissance de l’existence d’une frange «hyper conservatrice et totalement homophobe, fortement mobilisée, très organisée, avec beaucoup d’argent et une bonne maîtrise des moyens de communication contemporains», explique Caroline Mecary, avocate et militante pour la défense des droits des LGBT. «La France est gangrenée par l’intolérance, par toutes sortes d’intolérances», affirme-t-elle en entrevue. «Et il y a une homophobie qui ne dit pas son nom.»

Émergence de l’intolérance

Selon Frédéric Gal, directeur national de l’association Le Refuge, qui regroupe des centres d’accueil pour jeunes gais rejetés ou incapables de vivre dans leur famille, le débat sur le mariage a tout simplement «fait émerger une parole plus simple et plus libre d’homophobie».

Puisque des personnalités publiques prenaient officiellement position contre le mariage gai, des gens autrement silencieux à cet égard se sont sentis légitimés et en droit d’exprimer leur intolérance.
Quelques mois après l’adoption du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe en France, plusieurs dizaines de milliers de sympathisants de La Manif pour tous ont manifesté à Paris en février 2014 pour dénoncer la politique de «déconstruction de la famille» menée, selon eux, par le gouvernement socialiste.

«Une vision erronée»

Y a-t-il donc plus d’intolérance par rapport à la diversité qu’on ne pourrait le croire au coeur du pays des droits de la personne? «La réalité est loin des fantasmes qu’on peut avoir sur la France. On n’a jamais atteint les idéaux révolutionnaires de liberté et de progressisme», répond Anthony Roux, de SOS homophobie.

«On a une vision erronée de la France», ajoute M. Gal, précisant que les groupes catholiques sont très présents dans ces débats.

Selon Virginie Tellenne, il faut comprendre que l’opposition au mariage entre conjoints de même sexe n’est pas nécessairement un signe d’homophobie. «Certains catholiques ne veulent pas d’unions entre homos», dit-elle. Mais pour une bonne partie du mouvement, c’est l’ouverture de l’institution du mariage aux gais qui pose problème, pas leur vie commune. En fait, précise-t-elle, le noeud de l’affaire est du côté des enfants. Le mouvement d’opposition au mariage gai veut que les enfants naissent d’un père et d’une mère. D’ailleurs, c’est le même mouvement qui s’oppose aujourd’hui aux mères porteuses.

Pour l’avocate Caroline Mecary, cela n’est pas logique. «En France, les couples ont recours à la GPA depuis 1980.» La GPA, c’est la «gestation pour autrui». Selon elle, les «gens ne diront jamais qu’ils sont homophobes», mais ils se cachent derrière la défense des droits des enfants.

«En fait, la France n’est pas exactement comme on le croit», résume le comédien québécois Yves Jacques, qui est gai et qui travaille régulièrement en France depuis 25 ans. «Elle est beaucoup moins laïque qu’on le pense. Et beaucoup plus catholique.»

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