Le 25 mai 1946, lorsque tombe le couperet de la guillotine, le docteur Petiot emporte ses secrets dans sa tombe.
‘Un monstre né à Auxerre en 1897 (d’un père fonctionnaire des Postes et d’une mère à la santé fragile), monstre qui, dès son plus jeune âge, se plut “par curiosité” à ébouillanter un chat, et dont le procès fut aussi médiatisé que celui de Landru. Nous faisons connaissance avec lui dans L’effrayant docteur Petiot, Fou ou coupable ? de Claude Quétel. Dix-sept chapitres divisent les quarante-neuf années passées sur terre de Marcel Petiot, accusé de plusieurs assassinats et dont la folie, d’après son biographe, se manifesta très tôt. Aussi, pour Quétel, est-il nécessaire de rouvrir un dossier, non de police mais d’histoire… “On a voulu faire de Petiot un produit de son époque, c’est-à-dire celle des années noires de l’Occupation, tout comme la Grande Guerre avait donné Landru. […] Mais toute cette histoire a commencé avant, et là, les archives se font soudain maigres favorisant le remplissage romanesque des cases restées vides.”
C’est en 1921 que le séduisant jeune homme, kleptomane et à la voix volontiers enjôleuse, obtient son diplôme en médecine, avant de se faire élire, cinq ans plus tard, maire de Villeneuve-sur-Yonne, grâce au soutien des radicaux socialistes. Ses opposants ne se gênent pas alors pour faire publier dans un journal que le praticien a été réformé pour débilité mentale. Ce qui ne l’empêche pas d’être réélu, de se marier avec la fille d’un prospère charcutier et de devenir le père d’un fils prénommé Gerhardt. En 1933, il s’installe à Paris, rue Caumartin. La clientèle afflue, mais la police surveille (un décès suspect, prescriptions de stupéfiants). Médecin et père de famille admirés et respectés, l’homme est un chineur compulsif. Il est brûlé, dit-on, d’une véritable fièvre de possession et s’entoure d’une foule d’objets hétéroclites, de tableaux et de livres (surtout de romans policiers). Ce qui, écrit Quétel, ne prête guère à conséquence en soi, sauf “qu’il en va différemment si on examine la suite des événements“, puisqu’il est bientôt convoqué au commissariat pour avoir subtilisé un livre dans une librairie. Vol qui lui vaut un internement de quelques mois, étant donné que les explications qu’il donne de son geste sont des plus abracadabrantes. Sorti de l’hôpital, il se réjouit de pouvoir rouvrir son cabinet, alors que les bruits de bottes commencent à retentir de l’autre côte du Rhin.
La guerre éclate, la chasse aux juifs s’organise et Petiot achète un hôtel particulier, rue Lesueur, pour en faire une clinique. Il n’y a certes pas de place pour un tel projet, mais il y en a assez pour entreposer meubles et bibelots. Les murs dans la cour sont surélevés, supprimant toute vue plongeante des voisins ; ceux du cabinet épaissis pour insonoriser le local. Ce dernier n’a pas fini de faire parler de lui. Vingt-sept victimes y sont dépouillées, assassinées et dépecées. Notamment des juifs cherchant à fuir la Gestapo. Un rapport du légiste mentionne “un beau travail de boucher en chair humaine, une découpe artistique“, “on sent là le travail d’un médecin, donc d’un Petiot.” La presse se déchaîne. Le suspect est introuvable. En 1944, la cavale prend fin. Le procès fait sensation. La Cour le condamne à la peine de mort. Dans sa cellule, il fume, mange, dort bien, paraît étranger à son sort. Le jour de son exécution, à la question rituelle: Petiot, avez-vous une dernière déclaration à faire? il répond: “Je suis un voyageur qui emporte ses bagages“. Il ignorait alors qu’en 2014, Quétel en retrouverait quelques-uns et qu’il les ouvrirait pour nous. Une écriture élégante et sûre, digne d’un livre qui se recommande à notre attention par sa valeur documentaire, et dans lequel transparaît le souci d’ordre de l’historien. Aucun lecteur se songera à s’en plaindre.
“L’effrayant docteur Petiot, Fou ou coupable ?”, par Claude Quétel, aux éditions Perrin, 221 pages, 19 euros.
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