Le Streetstyle, c’est quoi ? Un genre photographique popularisé dans les années 2000 par Scott Schuman sur The Sartorialist, le blog en vogue où l’on découvre des inconnus photographiés dans la rue. Ils portent et assemblent le vêtement à leur manière et cultivent un style unique. Petit à petit, la pratique a surtout évoluée en shooting à tout va à la sortie des défilés, où rédactrices de mode et VIP rivalisent de créativité pour se faire prendre en photo dans des looks parfois à la limite du déguisement. Ce Sreetstyle là, Bill Cunningham ne s’y intéressait presque pas. C’était un chasseur d’authenticité, un formidable pourvoyeur d’inspiration.
Né à Boston en 1929 dans une famille Irlandaise catholique de quatre enfants, le photographe était destiné à une brillante carrière universitaire. Il abandonne pourtant très vite ses études à Harvard pour emménager à New-York, où, après un passage éclair dans la publicité, il monte sa marque de chapeaux, William J… avant de quitter la ville pour effectuer son service militaire. Lorsqu’il revient dans la Grosse Pomme, il commence à écrire pour le Chicago Tribune et le Women’s Wear Daily. Fasciné par le sens du style des New-Yorkais qu’il croise chaque jour, il commence à les photographier. Son objectif chasse ceux dont la façon de jeter leur manteau sur leurs épaules ou de retrousser leurs manches offre une interprétation personnelle et inspirante de la mode.
En 1978, le New York Times publie sa première série de photos. Dans toute sa naïveté, il est parvenu à photographier Greta Garbo sans la reconnaître. Lunettes de soleil sur le nez, manteau de fourrure et bonnet, l’actrice est saisie en toute spontanéité. C’est la première fois que le magazine publie les images de personnalités, stars et mannequins sans leur autorisation expresse. Sa chronique « On the Street » fait vite un carton. Bientôt, être photographié par Bill devient la reconnaissance ultime. Anna Wintour, célèbre rédactrice en chef du Vogue USA, dira même : « On s’habille tous pour Bill ». En plus d’arpenter frénétiquement les rues de New-York sur son petit vélo, il est présent dans tous les galas les plus courus, recherchant sans cesse des tenues qui surprendront son œil averti. C’est dans ces fêtes qu’il côtoie tout le gratin de la mode et du cinéma, sans jamais se soucier de qui est qui. Ce qu’il aime c’est le vêtement : « Je ne suis pas intéressé par les célébrités et leurs vêtements gratuits. Je regarde les vêtements, la coupe, la silhouette. C’est vraiment le vêtement. Pas les stars, pas le spectacle », dit-il. Et pourtant, toutes rechercheront sa compagnie, fascinées par la fragilité et la candeur de cet homme qui vit très simplement.
En 2010, Richard Press réalise un documentaire où l’on découvre le chiche quotidien du photographe. Dans son minuscule appartement au Carnegie Hall, des centaines de boîtes de pellicules de travaux jamais publiés s’amoncellent du sol au plafond. Un petit lit de camp, un petit bureau, et sa sempiternelle blouse bleue. Pas de décoration, pas de cuisine ni de salle de bain privatives. L’homme est dédié tout entier à sa passion et ne vit que pour elle. Il ne renonce jamais à travailler, même quand, en août dernier, il a un accident de vélo et se retrouve blessé à la tête. Le soir même, on le croise à un gala, appareil en main et le sourire aux lèvres : « Ce n’est pas du travail, c’est du plaisir. C’est pourquoi je me sens si coupable. Tout le monde travaille, mais moi, je m’amuse », dit-il.
Jusqu’aux tout derniers jours de sa vie, il continue inlassablement de faire vivre ce Sreetstyle authentique dont il a été l’instigateur, en saisissant sur le vif des New-Yorkaises portant des tops « off-shoulder » ou des jeans déchirés. The Cut propose un format un digital de sa chronique. Dans de courtes vidéos, ses photos défilent pendant qu’il commente avec entrain les tendances qu’il a repérées dans la rue. « Look at this man’s jacket ! » ( « Regarde la veste de cet homme ») s’exclame-t-il alors qu’une photo de Kanye West s’affiche sur l’écran.
L’infatigable homme à la blouse bleue a pourtant fini par s’éteindre à l’âge de 87 ans. On retiendra son sourire plein de vie, son naturel et son humilité, en attendant avec impatience qu’un grand musée se décide à lui consacrer une rétrospective.