La gloire littéraire reste bien fragile. Combien d’auteurs, adulés du temps de nos arrière-grand-mères, sont-ils devenus illisibles de nos jours ? Il serait cruel de citer des noms. Mais René Bazin n’en fait pas partie, son style résiste au temps, les thèmes qu’il aborde parlent encore. Les éditions Edilys ont eu la bonne idée de rééditer Davidée Birot, avec en sous-titre : « maîtresse d’école sans-Dieu » (à l’origine, l’ouvrage portait « une laïque », mais l’éditeur a dû penser que la signification de l’époque ne serait plus si claire pour nos contemporains). Ecrit en 1911, le roman fit quelque bruit. Fortement critiqué par certains (la violence des réactions attesta la vérité du trait), il donna lumière et courage à d’autres. L’éditeur précise qu’à cause de ce livre, le Premier ministre Barthou refusa, en 1913, l’élévation de René Bazin au grade d’officier de la Légion d’honneur, qui ne put avoir lieu qu’en 1918. Mais le grade de commandeur, pas question ! Barthou refusera plus tard catégoriquement.
Un missel fautif
8621-P3-bazin-couvDavidée Birot, jeune institutrice de « l’Ecole laïque », assiste à la messe de funérailles d’une de ses élèves avec, à la main, le gros missel offert pour sa communion, le seul en sa possession. Cela lui vaut bien des ennuis mais elle ne cède pas devant les menaces qui, au contraire, la poussent à creuser ce besoin d’élever son âme pour guider plus sûrement celles qui lui sont confiées.
Davidée, petite fille élevée dans un monde où Dieu n’a que la place la plus humble, celle qui ne peut gêner son franc-maçon de père, puis jeune fille formée à l’Ecole normale d’institutrices, a conscience, quand elle doit à son tour éduquer de toutes jeunes filles, qu’il lui manque une dimension essentielle. Une morale répondant uniquement aux exigences de la société et, par là même, extrêmement fluctuante, ne peut la contenter. Elle note dans son journal : « Tout est là : savoir de qui nous venons, et à qui nous allons. »
Les Charentes et surtout la région angevine, que Bazin connaissait bien pour s’y être installé, sont peintes de façon très juste, ainsi que la vie des ouvriers carriers travaillant l’ardoise du pays. Les scènes de manifestation correspondent aux descriptions qu’en font les historiens et, surtout, aux souvenirs d’époque.
Naissance d’un mouvement d’entre-aide
Dans le roman la jeune institutrice, qui a osé se dresser contre la doctrine qui veut lui dicter son attitude dans la vie privée, reçoit de nombreuses lettres. Sa réaction apparaît comme un acte d’héroïsme aux yeux de ses collègues attirés par la religion catholique, qui subissent une totale interdiction de le laisser voir.
De fait, après la parution du roman naquit, dans les années 1916-1917, « l’Association des Davidées », institutrices catholiques en milieu laïc, dont Bazin ne cessa d’être le protecteur. De façon significative, deux ouvrages lui seront consacrés : une brochure de Marceau Pivert (l’auteur, appartenant à l’aile gauche de la SFIO, scissionna pour fonder le PSOP, parti socialiste ouvrier prolétarien) parue en 1930, sous-titrée « Le noyautage de l’enseignement public », et un ouvrage de Jean Guitton, Les Davidées, histoire d’un mouvement d’apostolat laïc. « Noyautage » chez l’un, « apostolat » chez l’autre.
En 2016, figurent dans les commémorations nationales les 150 ans de la création de la Ligue de l’enseignement (républicaine, franc-maçonne, d’où est sortie la Fédération des œuvres laïques). La guerre scolaire contre la religion catholique est-elle si loin de nous, ouvertement ravivée comme elle l’a été par un Vincent Peillon ? Les mesures prises tout récemment (nous y reviendrons dans Présent) contre les écoles hors contrat rendent un son bien proche de celles que dénonçait René Bazin. Le thème de Davidée Birot reste donc malheureusement d’actualité.
René Bazin, Davidée Birot, maîtresse d’école sans Dieu, Edilys, 21 euros.
Anne Le Pape – Présent