À l’occasion des Journées de Béziers, Florian Philippot a commis, pire qu’un écart, une faute. En qualifiant l’opération de Robert Ménard de « flop d’extrême droite », il a introduit à l’intérieur du camp national la rhétorique de la diabolisation. Or, en diabolisant ses voisins, on ne se dédiabolise pas : on renforce la diabolisation. Et on donne à ses adversaires des verges pour se faire battre.
Ruquier a saisi l’occasion : puisqu’il lui faut inviter le FN (CSA oblige), autant inviter Philippot maintenant pour le mettre en porte-à-faux avec Ménard, Collard, Aliot et Marion Maréchal-Le Pen. Aussitôt dit, aussitôt fait. C’était samedi 4 juin.
L’atmosphère était étrange. Moins à l’aise que dans les matinales, Florian Philippot est resté presque toujours en défensive. Pendant que Léa Salamé et Yann Moix évoquaient les figures du XXe siècle : Jaurès, Pétain, Mendès, de Gaulle, Bastien-Thiry. Sans oublier le fantôme de Séguin dans un long tunnel sur l’euro qui rappelait furieusement les débats sur le franc trop fort par rapport au mark… des années 1990. Du Sciences Po très classique.
Puis Yann Moix s’attaqua au Grand Remplacement. Il commença par caricaturer la pensée de Renaud Camus (facile, le grand écrivain est interdit de média officiel !). Philippot botta en touche, feignant de ne pas comprendre ce qu’était le Grand Remplacement. Il y eut là une convergence de fait entre l’homme politique et l’homme de média sur ce qu’il faut bien appeler un déni de réalité.
Certes, Florian Philippot dénonça ce qu’il appelle « l’immigration massive » de Jospin à Sarkozy. Mais, en dehors des éléments de langage, rien qui fâche ni sur l’invasion migratoire depuis les côtes turques ou libyennes, ni sur les agressions sexuelles de Cologne, ni sur l’islamisation de la France, ni même sur le terrorisme. Mais peut-on espérer combattre avec succès ce qu’on n’ose pas nommer ?
Tout se passe comme si, face à la radicalisation de la réalité, la fraction philippotiste du FN avait choisi la pasteurisation de son discours. Au risque de peiner à se faire entendre. Au risque, aussi, de ne pas comprendre l’évolution de l’opinion : la montée des sentiments identitaires, comme l’a montré la mobilisation contre la venue du chanteur Black M pour les commémorations de Verdun ; le réveil, aussi, des courants de défense des valeurs traditionnelles illustré par les puissantes mobilisations populaires (les plus importante depuis 1984) contre la loi Taubira.
La situation politique est éminemment favorable à Marine Le Pen. Elle a donc vocation à rassembler beaucoup d’électeurs. Mais pour réussir pleinement, elle devra éviter le hors-sujet électoral et historique. Parler de l’euro là où les électeurs attendent qu’on les protège de l’immigration. Franchement, la première priorité de la France aujourd’hui, c’est retrouver le franc ou retrouver ce qu’est être français ?
D’autant que nous ne sommes plus dans les années 1990 : le cycle de 1968 touche à sa fin, la révolte contre les déconstructionnistes (dans l’art, la culture, les commémorations) gronde. Le cycle historique des Lumières s’épuise aussi et, avec lui, l’idéologie des droits de l’homme hors-sol qui est la matrice de l’immigration massive.
La politique n’a de sens que lorsqu’elle rencontre l’Histoire.
PS : à noter aussi les dix dernières minutes consacrées par Yann Moix à attaquer Marine Le Pen portée à la tête du Front national par son père Jean-Marie. Avec comme thématique sous-jacente : ne faudra-t-il pas un jour se séparer du nom Le Pen pour achever le processus de dédiabolisation ? Au risque de faire perdre aux électeurs leurs derniers repères ?