L’enseignement est le nerf de la guerre, pour s’emparer des esprits des enfants. Le très controversé Erdoğan en donne l’exemple : non content de convertir les écoles au « bon djihad », il souhaiterait voir créer, en France, des établissements scolaires turcs. Cette mainmise de l’État, qui conduit à l’embrigadement des élèves et à la normalisation de la pensée, est une tentation permanente, même dans les régimes démocratiques.
L’hebdomadaire Le Point rapporte que les responsables des lycées français en Turquie ont reçu, au mois d’avril, des visites « modérément courtoises » de fonctionnaires d’Ankara venus vérifier la légalité de la scolarisation d’enfants turcs dans ces établissements. Il faut savoir que les lycées français à l’étranger sont généralement réputés et accueillent, outre les expatriés, des enfants de la « bonne société » – en l’occurrence de l’AKP, le parti du président.
Ces « inspections » auraient pour objectif de faire pression sur les autorités françaises : une délégation turque doit se rendre en France, dans quinze jours, pour évaluer le fonctionnement de nos lycées internationaux et tenter d’obtenir la création d’établissements scolaires turcs. Sans doute le gouvernement veut-il s’assurer que les enfants de leurs ressortissants reçoivent un bon enseignement du djihad. Il est vrai qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même.
Ce n’est pas un canular. Le ministre de l’Éducation turc déclarait, en 2017 : « Le djihad existe dans notre religion et il est du devoir du ministère de l’Éducation de veiller à ce que ce concept soit enseigné de façon juste et appropriée. » Dans les manuels, l’histoire d’Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne (et autrefois laïque), est supplantée par celle du putsch raté du 15 juillet 2016. Il ne faudrait pas que les enfants des expatriés turcs subissent la mauvaise influence des programmes français – même si ces derniers n’offrent pas toujours une garantie d’objectivité.
Car, en France aussi, d’une manière moins brutale mais plus insidieuse, le pouvoir a la tentation de l’impérialisme. Soit directement, par l’intermédiaire des programmes ou l’incessant ballet des journées commémoratives, qui ne se fondent pas toujours sur une mémoire historique impartiale. Soit indirectement, par la contagion de la bien-pensance, propagée, de la base au sommet, par les prétendus experts en « sciences de l’éducation », qui n’en finissent pas de sévir.
Jean-Michel Blanquer a beau, par conviction ou par tactique, vouloir remplacer les ESPÉ (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), avatars des sinistres IUFM, par les INSPÉ (instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation), ce changement de sigle ne suffira pas à soigner un mal depuis trop longtemps enraciné dans les structures et le fonctionnement de notre enseignement.
En Turquie, la mainmise de l’État n’y va pas par quatre chemins mais, en France, elle s’exerce par l’hégémonie de la pensée dominante, des lobbies idéologiques et pédagogiques, actifs jusqu’au niveau européen. Cette vassalisation des esprits est contraire à la nature même de l’enseignement, qui devrait libérer des maîtres à penser et des préjugés.
Le seul maître qui puisse être légitimement reconnu, c’est le savoir. C’est, en effet, l’acquisition d’un savoir objectif – et non pollué par les partis pris idéologiques – qui doit inspirer les programmes. C’est le savoir qui doit être la finalité des apprentissages, l’outil d’émancipation des esprits. C’est le savoir et la capacité de le transmettre qui doivent fonder la sélection des meilleurs professeurs.
L’exemple de la Turquie n’est pas à suivre, mais la France a beaucoup de pain sur la planche si elle veut retrouver un enseignement digne de ce nom.