Dans une biographie éclairante, Jean Luchaire. L’enfant perdu des années sombres, Cédric Meletta (Perrin) retrace le parcours de Jean Luchaire, le plus mondain des collaborateurs et homme de presse dévoyé, fusillé en 1946 .Strass et paillettes sous le signe de la croix gammée : le 26 mai 1941, dans les salons de la Tour d’argent, le gratin de la collaboration fête Jean Luchaire. Patrons de presse, producteurs, ministres, officiels allemands et noceurs du Tout-Paris célèbrent l’apogée journalistique du plus grand communicant de l’époque. A 39 ans, Luchaire – “Louch Herr”, comme le surnommait Jean Galtier-Boissière, fondateur du Crapouillot – préside la Corporation nationale de la presse française. Il dirige aussi le quotidien le plus moderne des années noires, Les Nouveaux Temps, et influence la radio, le cinéma, la pub, l’édition. Luchaire, symbole du traître mondain, le bouffon de cour vendu aux Allemands par amour de la dolce vita, du luxe et du pouvoir. La biographie foisonnante, et fort joliment écrite, que lui consacre Cédric Meletta, historien de la littérature, épouse le rythme de cette vie menée tambour battant. Une étude nourrie d’archives inédites, qui scrute les clairs-obscurs d’un personnage veule et surdoué, “archétype de l’intellectuel dévoyé jouant à l’homme d’action”.
Luchaire appartient à la génération d’ambitieux entrés dans l’âge adulte au seuil des années 1920, dans une France où les places sont faciles à prendre après l’hécatombe de la Grande Guerre. Jeunesse dorée dans une famille d’universitaires républicains, laïques, cosmopolites, qui facilite ses débuts dans le journalisme. Luchaire a le sens de la formule, une belle gueule, du culot, et grenouille avec maestria dans les milieux politiques et financiers. Avec la fondation du magazine Notre temps, en 1927, le jeune loup des Années folles s’impose comme un “leader de génération”, pionnier de la culture de masse et de l’industrie des médias. Il préfigure le grand bazar de l’info, avec ses patrons de presse cumulards et visionnaires.
Ce passionné de propagande milite pour les “Etats-Unis d’Europe”, dans le sillage de son mentor Aristide Briand. Après l’arrivée au pouvoir de Hitler, en 1933, son obsession du rapprochement franco-allemand le conduit, comme d’autres à gauche, à disculper le nazisme au nom du pacifisme. Luchaire va devenir un agent appointé de la propagande nazie. Et un collaborateur zélé après la défaite de 1940. Ami intime de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris Otto Abetz, protégé de Pierre Laval, il règne sur la presse en zone occupée et cède à la vie facile du Paris bei Nacht. Affaires louches avec les éléments les plus fascisants de la collaboration : le dandy journaliste s’enlise dans la trahison, avant de s’enfuir à Sigmaringen. Arrêté par la police alliée en Italie, condamné à mort, il est exécuté au fort de Châtillon le 22 février 1946. “La vie de cet hybride (mélange de Méphisto et de Bel-Ami) fut à l’image de sa relation avec l’Allemagne : un vaste processus de dévoiement et d’échec”.