Tribune libre de Marc Crapez*
L’idée que les patrons de presse pourraient influencer le contenu éditorial ne tient pas la route. L’endogamie de gauche des journalistes pose par contre un réel problème.
Les médias penchent à gauche. On le constate quand le Syndicat national des journalistes apporte son soutien au Syndicat de la Magistrature. Des sondages le confirment. On le savait déjà. Pour se voiler la face, les journalistes font semblant de se croire encore à l’âge d’or de la presse. Quand elle jouait un rôle de contre-pouvoir. Mais de nos jours, les temps héroïques sont révolus. C’est le pouvoir qui a peur des journalistes.
À supposer qu’il y ait plus de patrons de presse de droite que de gauche, ce qui reste à prouver, cela n’a aucun effet. Pour un capitaliste, posséder un journal sert à placer un petit neveu, pas à « rouler » pour un parti politique. Un grand journal de gauche est d’ailleurs détenu par un entrepreneur sans étiquette, sans altération de sa ligne éditoriale. De tout temps, la majorité des capitalistes a été centriste. Consensuel, le monde des affaires épouse les idées du jour.
Face à des citoyens avertis, la censure, les écoutes et les pressions seraient contre-productifs. Un patron de presse ne peut pas donner des consignes à une rédaction. Les journalistes, par contre, peuvent influencer les esprits de façon subtile. Ecrire que « la majorité réfute les allégations de l’opposition » oriente le lecteur dans un autre sens que « la majorité nie les arguments de l’opposition ». A force, la diversité d’opinion peut en pâtir.
Les « vigilantistes » font peur
D’aucuns trouvent leur niche fiscale confortable. Une disposition du code des impôts permet aux journalistes de déduire près de 8 000 euros de leur revenu imposable pour « frais inhérents à leur fonction ». Sans compter les subventions : L’Humanité détient le record, talonné par La Croix, un tiers du prix du numéro étant payé par le contribuable.
Dans ce milieu, la moindre critique est perçue comme sacrilège. Il y a trente ans, un journaliste dénommé Legris publia un livre de bonne tenue intellectuelle contre un grand journal du soir. Il a fini chômeur. Le réflexe de caste l’a écarté du sérail. Ces risques et périls sont dissuasifs. Selon Alain Juppé, mieux vaut ne pas « enfreindre une loi non écrite du ‘politiquement correct’ : ne jamais critiquer la presse, au risque de représailles immédiates ».
Régulièrement, une émission dominicale de décryptage des raccourcis médiatiques pose la question : les journalistes ne seraient-ils pas des fois un peu de gauche sur les bords ? Un invité se charge toujours de noyer le poisson en dégainant de belles formules : journalisme d’investigation, indépendance de la presse, déontologie… Comme dans le film de Sergio Leone, Il était une fois la révolution, où le journal à la solde du dictateur sud-américain s’appelle El Imparcial.
Finalement, les journalistes ne sont pas tous sectaires. D’abord, parce qu’existe un courant de gauche attaché à la liberté d’esprit. Ensuite, parce que les journalistes qui ont réfléchi par eux-mêmes sont souvent sceptiques. Publiquement, ils révèrent les idoles du jour mais, en leur for intérieur, ce sont des mécréants. Simplement, ils s’auto-censurent par peur des « vigilantistes ». La corporation médiatique génère un contrôle social dont la transgression transformerait le déviant en suspect.
Le problème touche l’ensemble des professions intellectuelles, l’université, les médias et l’édition. Une minorité ultra-sectaire y fait régner la peur au nom de la vigilance contre un fascisme quasiment disparu depuis 70 ans. L’extrême-gauche colonise les professions intellectuelles en imposant ses idées par la terreur idéologique. Le public, lui, ne peut plus se forger une opinion en fonction d’un échange d’arguments arbitré par des médias sans partis-pris.
Illustration : Le journaliste « carpette », soumis aux puissants du jour, imaginé par Gosciny dans l’album de Lucky Luke L’Empereur Smith.
*Marc Crapez est chroniqueur et chercheur en science politique.
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