Le patron déchu de Radio France vient de déposer un recours devant le Conseil d’Etat, avec de bonnes chances de l’emporter. S’il gagne, il ne récupérera pas son poste, mais son honneur et de copieuses indemnités.(…)
Précisément, il s’agit d’un recours en Conseil d’Etat contre la décision du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Ce recours n’est pas suspensif, et durera au moins un an. Si Mathieu Gallet gagne, il ne récupérera pas son poste, mais son honneur, son salaire, plus l’indemnisation de son préjudice. Sachant que son mandat aurait dû s’achever le 12 mai 2019 mais a été interrompu le 1er mars 2018, il aura le droit à 14,5 mois de salaire, soit entre 223.000 et 270.000 euros. Quant à l’indemnisation de son préjudice, “Mathieu Gallet pourra probablement réclamer une somme importante, car sa révocation a été très médiatisée, et l’handicape forcément dans sa recherche d’un nouveau poste”, indique un expert. Détail amusant: ce sera au CSA de payer l’addition…(…)
Il faut dire que le CSA avançait en terre inconnue: c’était la première fois que le gendarme de l’audiovisuel utilisait cette procédure de révocation. Il s’est appuyé sur un texte de loi très succinct, qui ne définit pas clairement les motifs de révocation d’un patron de l’audiovisuel public. La loi dit juste qu’une telle décision doit se baser sur des “critères de compétence et d’expérience”. Une condition difficile à remplir, étant donné que “les résultats affichés par Radio France étaient particulièrement positifs”, pointe Fleur Jourdan. Mieux: dans sa décision, le CSA tresse au contraire des lauriers à Mathieu Gallet: “lors de sa nomination, le CSA a été sensible à son sens élevé du service public et à son attachement à ses valeurs et à ses missions. Le choix de retenir M. Gallet s’était notamment appuyé sur sa compétence managériale”.
Le gendarme de l’audiovisuel est donc allé cherché d’autres motifs, mais bien maladroitement. D’abord, il explique révoquer Mathieu Gallet car l’Etat ne veut plus de lui: “pour assurer dans de bonnes conditions la gestion et la tutelle d’une société possédée à 100% par l’Etat actionnaire, il importe, dans le respect strict de la liberté de communication, que les relations d’échange et de dialogue entre les représentants de l’Etat et le PDG de la société soient denses, confiantes et permanentes; que l’ensemble de ces conditions sont nécessaires au bon fonctionnement du service public audiovisuel”.
Le CSA fait ici référence à la déclaration de la ministre de la Culture Françoise Nyssen, qui avait publiquement demandé au CSA de révoquer Mathieu Gallet.(…)
“La logique [de la décision du CSA] revient à porter atteinte à la liberté de communication, au pluralisme des courants de pensées et d’opinions. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé en 2000 que l’indépendance des médias, fussent-ils du service public, est en principe garantie par la nomination de leurs présidents par une autorité administrative indépendante [le CSA]. Par conséquent invoquer explicitement la défiance du gouvernement, reviendrait à dire que c’est le gouvernement, et non l’autorité indépendante [le CSA] qui révoque les dirigeants”.
Le CSA évoque aussi d’autres motifs, à commencer par la condamnation de Mathieu Gallet à un an de prison avec sursis et 20.000 euros d’amende pour “favoritisme”. Mais le CSA ajoute que cela ne compte qu’à moitié: “Quand bien même l’appel de M. Gallet le fait bénéficier de la présomption d’innocence, le CSA constate que ce jugement tend à réprimer une méconnaissance des dispositions du code pénal sur les manquements au devoir de probité”.
Pour Fleur Jourdan, “le jugement n’est pas définitif, et n’a pas été assorti d’une interdiction de gérer, pourtant prévue par le Code pénal [et donc qui aurait pu être infligée à Mathieu Gallet par le tribunal]. Le jugement ne saurait par conséquent suffire à justifier en lui-même la décision de retrait du mandat”. L’Association pour la défense de l’audiovisuel public (ADAP) estime même que cela revient à sanctionner deux fois Mathieu Gallet pour les mêmes faits, ce qui est interdit.(…)
Au demeurant, l’annulation d’une décision du CSA par le Conseil d’Etat ne serait pas une première. Ces dernières années, la haute juridiction a déjà invalidé deux décisions importantes du gendarme de l’audiovisuel: celle retirant sa fréquence à Numéro 23, et celle refusant le passage en clair de LCI.