À chacun sa madeleine, son petit viatique personnel pour retrouver le temps perdu. Pour moi, ce sont, entre autres, ces trois lettres qui ne ressemblent à rien : A. D. G., imprimées en jaune d’or sur les vieilles couvertures de la Série noire. Il me suffit de les apercevoir, de les entendre ou d’y songer pour revoir un bout de rivière où l’on est venu pêcher le gardon dans le soleil du matin et sentir l’odeur de la menthe écrasée, avec dans un coin une fillette de montlouis retenue par une ficelle qui rafraîchit sous l’eau verte. Ou bien un été où je m’ennuie en famille près de Pontivy, la seule ville bretonne qui soit loin de la mer, jusqu’à ce que je découvre miraculeusement trois de ces petits volumes à la devanture poussiéreuse d’un bar-tabac.
Entre camarades royalistes, dans ces temps lointains qui remontent au premier septennat de Mitterrand, on échangeait avec gourmandise anecdotes et rumeurs sur notre écrivain culte. On racontait que ses parents, M. et Mme Fournier, lui avaient fait la très mauvaise blague de le prénommer Alain, ce qui lui donnait le même nom que l’auteur du Grand Meaulnes, d’où l’impérieuse nécessité, pour échapper au ridicule, de se dégotter un pseudo passable. Ce sera finalement A.D.G., les initiales d’Alain Dreux Gallou, du nom, précisaient les mieux informés, de ses grands-pères, des figures dont nous autres, fanatiques du succulent Pour venger pépère, connaissions l’importance dans son œuvre. Entre deux toasts portés à l’auteur de La Divine surprise et de Cradoque’s Band, on pointait en rigolant les innombrables clins d’œil et « privatejoques » dont cet ancien militant d’Action Française truffait ses livres, on s’enchantait de sa fidélité à la cause, laquelle ne l’empêchait pas d’avoir de jolis succès de librairie, d’être encensé par Bernard Pivot et, même, adapté pour le cinéma par Georges Lautner.