Six mois avant de disparaître dans le dénuement et l’oubli, Jean Jacques Lequeu (1757-1826) déposait à la Bibliothèque nationale l’une des oeuvres graphiques les plus singulières et les plus fascinantes de son temps. Cet ensemble de plusieurs centaines de dessins présentés ici au public dans toute son étendue pour la première fois, témoigne, au-delà des premières étapes d’un parcours d’architecte, de la dérive solitaire et obsédante d’un artiste hors du commun.
Fort de l’outil précis et technique de l’épure géométrique et du lavis, qu’il truffe de notes manuscrites, Lequeu, à défaut de réaliser des projets, décrit scrupuleusement des monuments et des fabriques imaginaires peuplant des paysages d’invention. Mais ce voyage initiatique qu’il accomplit sans sortir de son atelier enrichi des figures et des récits tirés de sa bibliothèque, et qui le conduit de temples en buissons, de grottes factices en palais, de kiosques en souterrains labyrinthiques, se résout en fin de compte par une quête de lui-même. Tout voir et tout décrire, avec systématisme, de l’animal à l’organique, du fantasme et du sexe cru à l’autoportrait, est dès lors la mission qu’il s’assigne.
Typique représentant de ce milieu artisanal, qui tente à la faveur des Lumières et de la Révolution de s’élever socialement et de s’affranchir du monde des métiers, mais qui rapidement déchante, quand se reconstruisent un nouvel ordre et de nouvelles hiérarchies, Lequeu, fils de son siècle, celui du libertinage et des jardins anglo-chinois, n’en poursuit pas moins une voie entièrement libre et singulière. Réduit à un emploi de bureau subalterne, ignoré des gens en place, loin désormais de ses racines, mais affranchi de tout poids social ou académique, avec l’obstination tenace du bâtisseur, il a su traquer sans concession ses chimères.