Deux mastodontes du porno viennent de lancer chacun une plate-forme d’éducation sexuelle. (…) Nous apprenions ainsi, début février, que Pornhub ouvrait son Centre de bien-être sexuel (heureusement qu’ils ont rajouté « sexuel », (j’allais m’allonger sous mon clavier pour attendre l’arrivée du masseur suédois) au contenu gentillet, où les jeunes peuvent poser leurs questions à des docteurs – dites-moi, les experts en gang-bang, comment on fait les bébés ?
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Ce sont les jeunes de moins de 25 ans qui subissent les pires effets d’une exposition trop intense, ou trop exclusive, ou trop prématurée, à la pornographie. Il est donc parfaitement logique que cette dernière prétende les « aider » plutôt que les enfoncer dans des spirales de vulnérabilité.
Les grandes marques de fast-food ou de soda suivent la même stratégie : les enfants en première ligne. C’est simple, efficace. Tout le monde aime les enfants. Personne ne contestera la cause des enfants (alors qu’on contestera peut-être le réchauffement climatique ou les droits des femmes).
On sait que l’éducation sexuelle manque, qu’elle a peu de moyens. Alors pourquoi pas les sites pornographiques ? Si les jeunes s’y « instruisent » de toute façon, pourquoi n’y trouveraient-ils pas une éducation sexuelle adaptée à leurs besoins ?
Pour le dire clairement : parce que c’est une arnaque. Il n’y a aucun lien visible sur la page d’accueil de xHamster vers sa chaîne éducative (judicieusement nommée The Box – la boîte de quoi ? De Pandore ?). En revanche, voici le descriptif de la première vidéo qui m’est proposée ce matin : « teenageuse ethnique violemment baisée par la bouche ». En image ? Une jeune Noire en train de se faire étrangler.
Même logique chez Pornhub : des liens emmènent les internautes depuis les vidéos éducatives vers des pages d’accueil mettant volontiers en scène un imaginaire d’adolescentes « bousculées » (pour le dire poliment)… sans qu’on puisse faire la démarche inverse, qui permettrait de passer du hard au soft, de la représentation à l’explication. Les concepteurs ont oublié ! C’est pas de chance, quand même !(…)
Du côté du contenu, rien de bien compliqué : donner des faits, des cadres, apprendre à questionner les savoirs par soi-même – si on y arrive en philo, on y arrivera en porno.
Du côté de la bienveillance, au contraire, ça coince. Les grosses plates-formes du X sont disqualifiées d’office : on ne peut pas éduquer au respect de la main gauche et présenter de la main droite une ado noire attrapée par la gorge avec comme sous-titre « abuse de moi s’il te plaît » (non qu’on doive interdire les fantasmes de viol, mais là, il va falloir un minimum de contextualisation).
Au-delà de cet aspect spécifique, c’est aussi notre bienveillance collective qu’il faut interroger. Nous ne sommes pas toujours convaincus qu’il faille éduquer à la sexualité (« c’est naturel », « tu sauras quoi faire le moment venu »), surtout si cet apprentissage dépasse les questions purement vitales de reproduction et de protection (transmettre la vie, garder la sienne intacte).
Notre paternalisme nous pousse à protéger les jeunes de toute exposition aux nœuds du problème : le désir, le plaisir, le rapport aux corps, la multiplicité des orientations sexuelles, les imbrications et contradictions propres à la condition humaine… et la frustration, bien sûr. Ces débats ne sont pas seulement non consensuels : ils sont chronophages. Invendables.(…)
Pour résumer, proposer des vidéos pornographiques comme ressource éducative (parmi d’autres) n’a rien d’impossible. Le problème, c’est que l’Etat ne peut pas s’en charger, et que les intérêts privés ne devraient surtout pas s’en charger. Divertir et instruire ? Ce n’est pas pour demain.