Pour sa 26e édition, la journée du livre politique s’est déroulée dans la galerie des Fêtes de l’Assemblée nationale, samedi 4 mars, autour de la thématique de l’engagement. Au programme, quatre débats équitablement répartis sur la matinée et l’après-midi, entrecoupés par la remise du Prix des Députés et du Prix du Livre politique, aux alentours de midi.
Parmi les journalistes présents, majoritairement des éditorialistes : Arlette Chabot de LCI, Françoise Fressoz du Monde, Laurent Joffrin de Libération, Renaud Dély de Marianne ou encore Etienne Gernelle du Point. On recensait parmi les membres du jury décernant le Prix des Députés des représentants du PS et de LR, mais aussi de petits partis comme l’UDI, le PRG, le GDR et EELV (parti dissous en 2016). Pas de représentants du Front national ou du Parti de gauche, en revanche. Car l’atmosphère générale qui se dégageait de cette journée reflétait bien le confort intellectuel de l’entre-soi. Ce n’est pas pour rien que le remarquable documentaire Les Nouveaux Chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat débute par des plans filmés à l’occasion d’une précédente édition de cette journée.
L’entre-soi idéologique
Cinq essais avaient été retenus, dont Sans oublier d’être heureux, élogieuse biographie de Claude Perdriel, fondateur et ex-directeur du Nouvel Obs, écrite par Marie-Dominique Lelièvre (finaliste des deux prix), Génie de la laïcité de Caroline Fourest et Rase campagne de Gilles Boyer, ex-directeur de campagne d’Alain Juppé ; Ma part de Gaulois, de Magyd Cherfi, qui fut le parolier du groupe Zebda, a remporté le Prix des Députés. L’auteur y raconte à la première personne le récit d’un lycéen « beur » des quartiers nord de Toulouse, premier arabe du quartier à passer le baccalauréat. Son ode à la République et « l’hymne aux mots comme antidote à la violence » ont été salués par le président du jury, le député socialiste Guillaume Bachelay.
Quant à l’ouvrage de Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondages Ipsos très présent sur les ondes, il a remporté le Prix du Livre politique, décerné par les éditorialistes. Intitulé Plus rien à faire, plus rien à foutre, il décrit la crise d’une démocratie qui serait gangrenée par l’indifférence et le désengagement des électeurs, ce qui favoriserait dans le même temps le renforcement des populismes.
Son auteur a présenté, en début d’après-midi, le dernier sondage réalisé pour Le Monde, selon lequel les principaux sentiments auxquels la politique est aujourd’hui liée dans l’esprit de la population sont le dégoût, l’indifférence et la colère. A ceux-ci vient s’ajouter une méfiance croissante à l’endroit de la presse et des médias. Partant de ce constat, il est bien étonnant que les seuls représentants des partis en cour aient été invités à cette journée.
Un épisode instructif a confirmé l’existence de ce cercle de la raison politique. Un débat, dans la matinée, avait pour thème « Emotion et décision politique ». La députée socialiste de la Drôme, Nathalie Nieson, a livré au public que la rationalité avait été le moteur de son action politique, tout en concédant que, de temps à autre, l’homme politique se devait d’exprimer ses émotions. Selon elle, les extrêmes n’utilisent que l’émotion pour véhiculer leurs propositions politiques. Dans le public, lors de la brève séance de questions-réponses, un homme s’est alors levé pour prendre la parole : « Au nom de quoi insultez-vous le Front national ? D’où tenez-vous qu’il soit le parti de l’émotion, et vous le cercle de la raison politique ? » Ce à quoi Mme Nieson a répondu de façon expéditive qu’objectivement, le programme du FN était déraisonnable, exclusivement construit autour d’émotions négatives. Intéressant échange entre un membre du public et l’incarnation d’un entre-soi idéologique artificiel, excluant sans doute plus de 40 % des options politiques françaises – FN et Front de gauche inclus.
Vers 14 h 30, la présidente de Lire la Politique, organisatrice de la journée, a annoncé la venue de Pierre Bergé, chargé du discours d’ouverture de l’après-midi : « Car s’il y a une personne qui incarne la notion d’engagement, c’est bien Pierre Bergé, que je vous demande d’accueillir par une standing ovation ! » Celui-ci était d’ailleurs modestement présenté dans le programme comme « président de la Fondation Yves Saint-Laurent », et en aucune manière comme actionnaire majoritaire du groupe La Vie-Le Monde et président du conseil de surveillance du Monde SA et de la Société éditrice du Monde.
Cette journée fut donc riche d’enseignements : sous les ors de la galerie des Fêtes de l’Assemblée nationale, on a bien conscience du décalage qui existe entre les aspirations du peuple français et l’action menée par ses élites. Pour autant, on n’y invitera jamais les pouilleux extrémistes et irrationnels qui représentent une part croissante de l’électorat.
Marie de lIsle – Présent