♦ La censure d’Internet en France est en route. Un premier pas vient d’être franchi : l’Assemblée nationale a voté le 6 février dernier le projet de loi « lutte contre le terrorisme », son article 9 prévoyant le blocage administratif des sites Internet par l’exécutif, sans décision préalable de la justice.
Pour la petite histoire, il est bon de se rappeler que le ministre de l’Intérieur, porteur de ce projet, avait lui-même voté contre un projet similaire présenté par l’UMP et le PS en 2010 alors qu’il était député : belle démonstration, une fois encore, des rapprochements entre droite et gauche ! Un certain nombre de projets sont dans les cartons de l’Intérieur et de la Justice ; il faut donc nous attendre à les voir se réaliser petit à petit. En attendant Jean-Yves Le Gallou, président de la Fondation Polémia, les énumère et les analyse auprès du quotidien Présent.
— La loi sur Internet qu’envisage Taubira peut-elle rayer de la Toile, en quelques mois, toute la réinfosphère ?
— Je ne le crois pas. La censure sur Internet est un très vieil objectif du politiquement correct mais cela n’a jamais fonctionné. J’ai siégé de 1994 à 1999 à la commission des libertés, au Parlement européen. Commission des libertés, en novlangue, cela signifie commission de la répression des libertés. Le chef du groupe socialiste, dans cette commission, passait son temps à expliquer qu’il fallait contrôler Internet pour combattre les sites « pédophiles, révisionnistes et racistes ». Ce chef de groupe socialiste a fait une très belle carrière puisqu’il est devenu président du Parlement européen : il s’agit de Martin Schulz… Mais jusqu’à maintenant personne n’a réussi à contrôler Internet. Entre l’épée et le bouclier, l’épée a toujours un coup d’avance – surtout s’agissant d’un réseau mondial. Avec des Etats qui ont des législations différentes, avec des technologies qui évoluent, toutes les censures ont vocation à être contournées.
— Alors faut-il ne s’inquiéter de rien ?
— Si, car malgré tout il y a trois choses préoccupantes : d’abord, la volonté de contourner la justice avec une décision administrative préalable, ce qui signifie absence de débat et de contradiction ; ensuite, la volonté de compléter la censure publique par la censure privée avec l’intervention directe auprès des fournisseurs d’accès : enfin, la volonté de sortir les délits d’opinion du droit de la presse – au nom de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et j’en passe.
— Concernant la presse, c’est une régression d’un siècle et demi ?
— En effet. La loi de la presse a été conçue à l’origine, en 1881, en multipliant les règles de procédure pour protéger la liberté d’expression de celui qui était attaqué et pour permettre au juge, dans des affaires politiques, de donner raison à une personne attaquée indépendamment du contenu. Pour un juge qui a une carrière à faire, c’est humain ; il est difficile de donner raison sur le fond à quelqu’un qui s’oppose au gouvernement. La procédure est un moyen de ne pas juger sur le fond. Dans les faits, l’essentiel des jugements en matière de presse est lié à la procédure. A l’époque où j’étais élu du Front national, j’ai eu et gagné une dizaine de procès – merci Me Georges-Paul Wagner, merci Me François Wagner, merci Me Eric Delcroix –, toujours par la procédure. Réduire la procédure contraint le juge à juger le fond, ce qui est autrement délicat. Sans compter qu’au pénal on peut perquisitionner chez les gens, venir vous chercher à l’heure du laitier pour vous mettre en garde à vue, vous arrêter à l’audience…
— Une pénalisation du droit de la presse… Est-ce un effet pervers de « l’esprit Charlie », ou une conséquence tout à fait logique ?
— Là encore, c’est un vieil objectif d’un certain nombre d’organisations liberticides : Licra, Mrap, etc., mais aussi l’UEJF, le CRIF. L’événement Charlie a été utilisé de façon extraordinaire. Première semaine : liberté d’expression généralisée ; deuxième semaine : attention, liberté d’expression restreinte pour les « idées de haine ». L’expression désigne tout simplement les idées politiquement incorrectes, comme par exemple dire que l’immigration n’est pas bonne pour la France. La sidération de l’opinion, obtenue par la mobilisation de tous les moyens de propagande, a servi à faire avancer un projet antérieur.
— Vous citiez l’UEJF, le CRIF. Justement le projet de loi a été évoqué par Taubira et par Hollande devant ces instances. Que vous inspirent ces circonstances ?
— Depuis des années la semaine du dîner annuel du CRIF est la pire semaine pour la liberté d’expression. Il suffit de voir le discours du président du CRIF et la réponse du premier ministre ou du président de la République : à l’exigence répressive répond l’annonce de mesures. Le renforcement des lois dites antiracistes, leur extension, l’allongement du délai de prescription : autant de revendications du CRIF pour lesquelles il a obtenu gain de cause. Il y a là des raisons de politique intérieure mais aussi de géopolitique, car derrière cela se cache l’interdiction de toute critique à l’égard d’Israël. Ce qui est étonnant, c’est que les juifs de France se sont construits autour du procès de Dreyfus, autour de la victime d’une injustice, mais qu’aujourd’hui ils sont du côté de la répression. C’est d’ailleurs hautement symbolique que la décision d’interdiction préalable d’un spectacle de Dieudonné ait été rendue par Bernard Stirn, arrière-petit-neveu du capitaine Dreyfus. Le raccourci historique est saisissant.
— Comment expliquer ce sursaut de la censure ? Est-ce parce que nous sommes arrivés aux limites de l’autocensure ?
— Le débordement, clairement, est venu d’Internet où l’on se censure moins, ou pas du tout. Il y a un « avant Internet », et un « après », avec un basculement au début des années 2000. On a assisté au développement des médias alternatifs, au moment même où le discours officiel était de plus en plus décalé par rapport à la réalité. La situation échappe au contrôle et la frénésie répressive est le signe d’une certaine panique.
— Vous avez parlé, sur Twitter, d’un « grand saut vers le totalitarisme ». Aura-t-il lieu dans l’indifférence ?
— Ce projet Taubira ne suscite pas un enthousiasme général. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), pourtant peuplée de militants « antiracistes », a émis des réserves ; la presse n’applaudit pas des deux mains : rien n’est fait. Ce qui est sûr, c’est qu’une telle loi aboutirait à une multiplication des procès de rupture. On vient d’en connaître un avec Renaud Camus, mis en cause pour une déclaration au sujet du Grand Remplacement lors des assises de l’islamisation : il a choisi de se défendre sans avocat, sans utiliser la procédure. Vous êtes des représentants du pouvoir, a-t-il dit, c’est normal que vous me combattiez ; mais je continuerai à dire ce que j’ai à dire. Cela a beaucoup d’allure. Si on passe au pénal pur, cela développera de telles attitudes. Vient ensuite la question de la prison pour délit d’opinion. C’est violent et cela choque l’opinion. Le Système n’ose utiliser la prison que pour le délit de révisionnisme, à l’égard de Vincent Reynouard par exemple. Il vient d’être condamné à deux ans de prison, mais le Système ne s’en vante pas. Reste que, progressivement, le droit de la presse est de plus en plus vidé de son contenu.
— Le mardi 10 mars auront lieu les Bobards d’Or. Sans rien dévoiler du palmarès, considérez-vous l’esprit du 11 janvier comme un gigantesque bobard ?
— Oui ! D’abord, parce qu’il n’y a eu aucune analyse de fond. Au contraire, on l’a interdite avec la thématique « Pas d’amalgame ». L’opération d’unité nationale, convertie en « unité républicaine », a vu l’exclusion de Marine Le Pen. Cela est très injuste, compte tenu du fait qu’en matière de républicanisme elle n’est avare ni de conviction ni de mots. Ensuite, on lui a reproché son absence dans le cortège ! C’est fabuleux, un gigantesque bobard. Ce qui ne relève pas du bobard, et sans faire l’éloge de Charlie Hebdo dont l’humour était vieillot, dépassé, ce sont les cinq dessinateurs abattus parce qu’un jour ils ont pris la décision courageuse de publier une caricature de Mahomet. Ils savaient que c’était plus dangereux que de publier une caricature du pape. Ils ont fait vingt fois plus de caricatures contre les catholiques, et plus dégueulasses, que contre les musulmans, mais ils ont assumé cette caricature du prophète et les risques qui allaient avec. Accordons-leur au moins cela.