Le grand froid s’annonce et, avec lui, la glaciation culturelle. Après Louis-Ferdinand et Charles, au tour de Jacques, sachant qu’un Céline et un Maurras peuvent toujours cacher un Chardonne ; décidément, en 2018, le fond de l’air effraie. Jacques Chardonne, désormais tricard de commémoration, donc ? Il semblerait.
À l’origine de cette disgrâce, l’historien Nicolas Offenstadt, pour qui « on peut discuter de l’œuvre littéraire de Jacques Chardonne et de son intérêt aujourd’hui. Mais fondamentalement, il a représenté le symbole de l’écrivain qui a prôné la collaboration avec les Allemands. » Que l’écrivain en question n’ait pas été un résistant de la première heure, voire même de la dernière, l’affaire est entendue. Il a même connu quelques problèmes en 1944, avant de bénéficier d’un non-lieu deux ans plus tard, en grande partie grâce au soutien de son ami, l’écrivain Jean Paulhan, résistant historique, lui.
Comme le disait François Mitterrand, résistant un peu décoré de la Francisque par le maréchal Pétain et grand admirateur de Jacques Chardonne, à Georges-Marc Benamou : « Jeune homme, vous ne savez pas de quoi vous parlez… » Il n’empêche que dans son acharnement épurateur, Nicolas Offenstadt voit petit.
En effet, est-il toujours opportun de continuer à célébrer le culte de Jean-Paul de Beauvoir et de Simone Sartre, Thénardier qui furent à la République des Lettres ce que l’Auberge rouge était à l’hôtellerie française ? Car très occupés durant l’Occupation, ils auront résisté à tout et surtout à la Résistance. L’un qui faisait jouer Les Mouches devant un parterre d’officiers SS tandis que l’autre était DJ à Radio-Paris. « Nous résistions de l’intérieur », affirma le Castor. Médaillé de la Résistance intérieure, en quelque sorte. Ce qui explique qu’Henri Noguères, authentique homme de gauche et résistant émérite, ait confié à Gilbert Joseph, auteur d’Une si douce occupation, ouvrage consacré au couple infernal : « Je maintiens qu’en une vingtaine d’années consacrées à la recherche et à des travaux sur l’histoire de la Résistance en France, je n’ai jamais rencontré Sartre ou Beauvoir. » Pour ce faire, il aurait dû plus souvent fréquenter les coquetèles de la Kommandantur parisienne.
Pour en revenir à l’affaire Maurras, rappelons ces phrases d’Éric Zemmour dans Le Figaro Magazine du 2 février dernier : « Il y eut une époque pas si lointaine où l’on pouvait évoquer Maurras sans peur ni reproches. De Gaulle a dit : “Maurras est devenu fou à force d’avoir toujours raison.” Le président Pompidou le citait devant les étudiants de Sciences Po. Raymond Aron s’interrogeait dans Le Figaro : “Le général de Gaulle est-il maurrassien ?” Nous vivons une époque merveilleuse où l’inculture fait la paire avec le sectarisme. »
Il n’y a là rien à ajouter, si ce n’est que Nicolas Offenstadt, historien de profession, correspond assez bien à cette époque, poursuivant de sa vindicte des confrères tels que Lorànt Deutsch et Stéphane Bern, qualifiés « d’histrions réactionnaires ». Sans grande surprise, on apprend qu’il travaille régulièrement avec un autre collègue, Patrick Boucheron, dont le dernier ouvrage, Une histoire mondiale de la France, a récemment causé quelques remous. Selon le même Zemmour, Patrick Boucheron, voulant « renouer avec le roman national, mais ne garder que le roman pour tuer le national », en arrive à ce constat : « Tout ce qui vient de l’étranger est bon. » Ce qui est politiquement éloquent et historiquement un peu court.
Il est vrai que le livre incriminé vaut son pesant de noix de cajou, puisque résumant notre histoire aux seules migrations. Nos ancêtres des cavernes ? Des migrants. Le peuple français ? Un agrégat de sans-papiers. L’une des rares immigrées à ne pas trouver grâce à ses yeux ? La reine Marie-Antoinette, évidemment.
Pendant ce temps, c’est le Che Guevara qu’on célèbre. En attendant de placer la prochaine journée de la femme sous le patronage de Landru ?