Par Alain Sanders
La commémoration du centenaire de la Grande Guerre est une raison dirimante pour évoquer la mémoire d’une infirmière héroïque, Marie Feuillet. S’y ajoute la parution récente du livre d’Ali Akhaddar (ouvrage sur lequel je reviendrai), L’Hôpital Marie-Feuillet de Rabat (1), du nom de cet établissement du temps du Protectorat qui porte le nom de cette infirmière et qui fut, de 1912 à 1961, un grand témoin de la médecine marocaine et coloniale.
Pour nous, gens de Salé et de Rabat qui étions alors des gamins turbulents et libres, cet hôpital évoque plus prosaïquement son déversoir au sortir duquel nous faisions, sans grand souci des règles hygiéniques ou prophylactiques, des pêches miraculeuses…
Marie Feuillet est née le 30 mai 1864 à Rethel dans les Ardennes. Elle aura le malheur de perdre très tôt son mari en 1872 et, neuf ans plus tard, ses deux petites filles emportées par une épidémie de rougeole. Elle décidera alors de se consacrer exclusivement à son métier – devenu un sacerdoce – d’infirmière.
En 1907, en tant qu’infirmière-major, elle dirige la première équipe d’infirmières de l’Union de France à l’hôpital militaire d’Oran. Un an plus tard, elle repart, toujours à la tête d’une équipe d’infirmières, assurer les formations sanitaires des confins marocains. Elle sera un temps en poste à Casablanca puis se fixera à Rabat.
Son inlassable dévouement, son sens de l’organisation, son mépris du danger, lui vaudront la croix de la Légion d’honneur en février 1912.
Le 15 août de la même année, en route pour l’hôpital militaire de Meknès, elle ressent à l’étape de Camp Monod une nette aggravation des symptômes du mal qui allait l’emporter, la typhoïde. A Tiflet, les médecins lui commandent de s’arrêter. Elle refuse et poursuit sa route jusqu’à Khemisset. Elle est hospitalisée à Meknès après avoir souffert des heures de martyre dans les cahots des voitures d’ambulance et la chaleur étouffante. Trois jours plus tard, le 24 août 1912, elle rend son âme à Dieu.
Elle fut ramenée à Rabat au rythme lent d’une arabia tirée par trois mulets. Dans deux autres arabias, les corps du lieutenant Lapart et du maréchal des logis Lacagne tués en avril à Fès par les ennemis de la France et du sultan. Dans l’ordre du jour du 27 août 1912, le général Lyautey écrit : « Elle est tombée en soldat à son poste de combat. »
De Rabat, son cercueil sera rapatrié, via Casablanca, en France. Son corps fut déposé au Val-de-Grâce dans le salon Anne d’Autriche réservé aux officiers généraux. Le 16 septembre, ses funérailles sont célébrées en présence du président du Conseil, Raymond Poincaré, et des principaux dirigeants de l’armée et des Sociétés de la Croix-Rouge.
Une foule immense de Parisiens (autres temps, autres mœurs…) lui rendra hommage jusqu’au cimetière Montparnasse. En octobre 1912, l’hôpital militaire de Rabat, dont elle avait dirigé l’installation un an plus tôt, prend le nom d’hôpital Marie-Feuillet. Comme le rappelle Ali Akhaddar, Lyautey en fera « dans de nouveaux bâtiments prestigieux le fleuron de l’équipement hospitalier militaire d’Afrique du Nord ».
Jadis (mais ce n’est plus le cas en Afrique du Nord), de nombreux établissements de santé portaient le nom de Marie Feuillet (à Rabat et à Oran notamment) ainsi que des rues, des avenues, des écoles, etc. A Rabat, les vieux Marocains, qui l’avaient surnommée Marifilly, ont conservé son souvenir et celui de l’hôpital qui portait son nom.
(1) Imprimerie Rabat Net Maroc, avenue Hassan-II, Cité Al Manar numéros 6/3, Rabat, Maroc.