FRA-TER-NI-TÉ… Ce mot-clé des vœux présidentiels du 31 décembre faisait un peu penser au fameux discours, un rien ridicule, de Ségolène Royal, tenu par l’ex-candidate socialiste au Zénith, le 20 octobre 2008. C’est un joli mot, fraternité, dans le sens que lui donnent les Evangiles : tout homme porte en lui l’étincelle divine. C’est aussi un mot dangereux quand, décalqué du précepte évangélique, il sert à désigner la philanthropie mensongère prônée par la religion humanitaire. Celle qui, le plus souvent, « conduit au plus odieux carnaval de l’égoïsme et de la faiblesse d’esprit ».
En commençant ces vœux par « Mes chers compatriotes européens » Emmanuel Macron nous a renseignés d’emblée sur la formule cosmopolite qu’il entendait donner à ses rêves de fraternité.
Des vœux, 17 minutes et quelques secondes, plus longs que ceux de ses prédécesseurs. Georges Pompidou présentait les siens en trois minutes. Mais ce dernier, agrégé de lettres, connaissait la litote : dire le plus avec le moins de mots possible. Une concision et une clarté totalement opposées à la philosophie brumeuse et amphigourique de l’actuel président de la République.
Quasiment dix-huit minutes mais pas un mot sur la sécurité, l’un des soucis pourtant majeurs des Français. Les habituels incendiaires de la Saint-Sylvestre et les odieux lyncheurs blacks d’une jeune policière (voir Présent de mercredi) l’ont fait à sa place, quelques heures plus tard. Rien de vraiment inhabituel en somme puisque les policiers se font désormais agresser quotidiennement. Juste un épisode de plus, sur fond pétaradant des fêtes de fin d’année, de l’ensauvagement continue de la France.
Sanglant anniversaire
Ce dimanche sera le troisième anniversaire du terrible attentat islamo-terroriste perpétré le 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo par les frères Chérif et Saïd Kouachi : douze morts, onze blessés. La haine toute particulière des islamistes contre ce journal commence avec la publication de caricatures de Mahomet, en février 2006. Une republication, puisque celles-ci étaient parues un an auparavant dans un journal danois, provoquant – un peu à retardement d’ailleurs – la colère instrumentalisée du monde musulman. Plusieurs fatwas sont alors déclenchées contre le caricaturiste scandinave.
L’humour outrancier, systématiquement injurieux et outrageant, voire obscène, ne constitue évidemment pas ma tasse de gaieté. Ni celle sans doute de nos lecteurs. Et moins encore bien sûr, les moqueries tournant en dérision toute croyance religieuse, dont en premier lieu la foi chrétienne. Des dessins blasphématoires contre lesquels des organisations catholiques, dont l’Agrif, s’étaient élevées, de la seule façon possible dans un pays civilisé : en poursuivant leurs auteurs devant les tribunaux. Les magistrats sollicités avaient répondu négativement, arguant qu’en République la notion de blasphème n’existe pas. Surtout dans la République française, héritière de 1789, dont les citoyens, après un siècle et demi d’enseignement laïc antireligieux, ont perdu tout sens de transcendance. Ne la respectant même plus chez autrui.
« L’idyllique massacreur »
Une liberté à laquelle des journalistes et des caricaturistes tout aussi mécréants que ceux de Charlie Hebdo ont toutefois, ces dernières années, renoncé, par crainte d’éventuelles représailles. Un journaliste américain confessait l’année dernière, dans les colonnes mêmes de l’hebdomadaire satirique : « Il y a aux Etats-Unis des artistes qui produisent des œuvres très critiques vis-à-vis du christianisme ou du judaïsme. Les musées en général ont peu de réticences à les exposer. Mais on hésite, ou bien on a peur, à faire de même avec l’islam. »
Pareil en Europe. « Aujourd’hui l’islam est un sujet particulièrement sensible. Les gens invoquent cette tradition de respect des minorités mais il s’agit bien d’autocensure. » Une autocensure imposée par la force des mitraillettes. Et pour l’avoir transgressée, la rédaction de Charlie Hebdo a été décimée. Les survivants se retrouvent, depuis lors, « dans une boîte de conserve » : le 7 janvier 2015, racontent-ils, « nous a propulsés dans un monde nouveau, fait de policiers en armes, de sas et de portes blindées, de trouille, de mort. Et cela en plein Paris ». Dans un Paris non plus entouré d’une ceinture rouge mais d’un ceinturon vert, couleur des drapeaux de l’islam. Se soumettre ou vivre dans « une boîte de conserve » ? L’alternative semble posée.
Il fut toutefois un temps où, pour Charlie Hebdo, l’ennemi n’était pas islamiste mais lepéniste. En 1995, par exemple, le journal pétitionnait pour « l’interdiction du Front national ». En se réclamant bien sûr de la citation de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. » Saint-Just, « l’idyllique massacreur ». Oublions… (Mais rappelons-le tout de même de temps en temps.)
Après ce carnage le pouvoir politico-médiatique imposa le slogan tout à fait dans la ligne de notre démocratie émotionnelle infantilisante : « Nous sommes tous Charlie. » L’Etat sacralisant un état d’esprit anarchisant et nihiliste ? Cette subversion confusion prit en otage beaucoup de monde. A commencer par tous les partisans, dont je suis ardemment, de la liberté d’expression. Sans me sentir Charlie pour autant. Ce qui ne m’empêchait nullement d’éprouver douleur, tristesse et compassion pour ces victimes du fanatisme le plus abject. De ressentir également une grande colère, un peu trop absente des hommages rendus, contre leurs meurtriers.
Tourner en dérision et blasphémer le christianisme, éventuellement (à plus petites doses) le judaïsme, c’est permis et même recommandé par la gauche, puisqu’il s’agit là des religions d’un monde occidental « impérialiste ». En revanche une partie de celle-ci n’admet pas que l’on puisse « blasphémer la religion des faibles ». Autrement dit la religion mahométane. C’est la thèse prônée avec force sectarisme par les islamo-gauchistes. La gauche d’Emmanuel Todd, d’Edwy Plenel et de ses sbires de Mediapart, d’Aude Lancelin et de son compagnon Frédéric Lordon, des dinosaures anti-occidentaux du Diplo, du sinistre Badiou, chantre stalino-maoïste de tous les totalitarismes, et autres crapules de la pensée léniniste ou postléniniste, qui, après avoir jeté la classe ouvrière et le tiers-monde dans les fosses communes de l’histoire, apportent désormais leur collaboration félonne à l’islam politique. Les musulmans et autres damnés du djihadisme étant les nouveaux pauvres de ces dames patronnesses de l’Eglise progressiste.
Le « troisième frère Kouachi » ?
En novembre dernier Plenel, durant sa polémique avec Charlie Hebdo, n’hésita pas à accuser celui-ci de mener « une guerre contre l’islam », remettant ainsi du carburant dans la machine à tuer les croisés. « Plenel est-il le troisième frère Kouachi », se demandait Franz-Olivier Giesbert dans Le Point du 23 novembre. Je ne suis toujours pas Charlie, mais totalement avec lui contre ses persécuteurs. Contre les Kouachi arme au poing ou le stylo entre les dents.
La liberté de penser ne recule pas seulement sous l’effet du terrorisme et de ses idiots utiles. Elle recule aussi sous la pression des tribunaux médiatiques. Ainsi, lorsque sur Twitter, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, demande et obtient la tête d’un présentateur télé un peu lourdingue, Tex, qui animait une émission sur France 2. Schiappa, le 11 janvier 2015, faisait sans doute partie de la chorale scandant : « Nous sommes Charlie » ? Elle l’est beaucoup moins aujourd’hui où, au nom d’un féminisme de plus en plus extrémiste, elle condamne sans appel l’auteur d’une blague de la même teneur transgressive, en plus bénin toutefois, qu’un dessin de Charlie Hebdo. Où est la cohérence de tout ça ? « Nous sommes Charlie » mais par intermittence…
Ce funèbre anniversaire nous dit l’état « boîte de conserve » dans lequel se trouve déjà une France sous la menace prégnante du terrorisme islamiste. Il nous dit le rétrécissement continu de la liberté d’opinion, que Macron, sous le prétexte louable de combattre les fake news, pourrait encore accélérer.