Par Alain Sanders
On nous dira : « Des récits, des témoignages, des explications tactiques, des livres sur la Bataille de la Marne, il y en déjà beaucoup. » Certes. Mais cette abondance n’en fait que paraître plus original – à tous les sens du terme – l’ouvrage de Louis Fontaine, Il y a cent ans… la Marne, sous-titré (et c’est déjà une première originalité) : « Gros plan sur la bataille des Morins ».
Une autre originalité qui fait que ce livre n’est pas une relation militaire « de plus » ? Le fait qu’on soit en présence d’un véritable reportage s’appuyant sur des choses vues (et on a presque envie de dire : entendues). Louis Fontaine écrit que son livre relate « au jour le jour des faits de guerre entrepris par les troupes en présence ou subis, il y a 100 ans, par des populations civiles, dont faisait partie ma famille ».
Avec Un de 14
Est-il besoin de rappeler l’attachement de Louis Fontaine à sa petite patrie, cette Brie champenoise à laquelle il a consacré plusieurs livres ? (1). Alors, comme dans Un de 14 (L’Orme Rond), paru tout récemment et salué dans Présent du 24 octobre, livre où il raconte les siens (à commencer par son père, « combattant ordinaire qui deviendra extraordinaire comme tant d’autres »), il nous parle de sa famille, de sa parentèle, de témoins proches et, nous parlant d’eux, il nous parle de nous, des nôtres, de notre propre famille qui, en d’autres lieux, auront eu à souffrir de cette guerre apocalyptique.
Des documents, donc, des témoignages, des textes (paroissiaux parfois !) rassemblés, collectés, dénichés, par cet infatigable arpenteur des vallées du Petit Morin, du Grand Morin, de la Marne. Louis Fontaine est « nourri » de souvenirs familiaux, de témoignages d’historiens locaux et de curés soucieux de laisser des traces à nos enfants et petits-enfants. Il a (presque) tout lu de ce qui a été édité après la bataille. Il a consulté les journaux de marche et d’opérations aux archives de Vincennes. Il a tout retenu de ce qu’on lui a confié.
Riche de ce matériau, Louis Fontaine a su en faire un récit passionnant qui dit bien la bravoure et le sacrifice des soldats, bien sûr, mais aussi – et ça, c’est déjà plus rare – l’atmosphère dans laquelle vécurent les civils pris dans la déferlante « prussienne ». Il note (ce qui étonnera à une époque où on croit tout savoir) : « Ce qui m’a le plus frappé, c’est la totale ignorance des événements et de la situation où se trouvaient, non seulement les populations de cette région pendant la bataille, mais aussi les soldats qui combattaient et retraitaient sans comprendre. »
Jamais lu ailleurs
Parfois, les nouvelles (vraies ou fausses) tombent. Comme tombent les villes. Montdidier, Laon, Compiègne, Creil. Certains disent que les Allemands sont déjà à Senlis et à Chantilly. Dans les villages et les bourgs de plateaux et de vallées des Morins, on voit grossir le flot des réfugiés. Ils arrivent de La Fère, de Noyon, de Laon… Et ils n’ont qu’une idée : « (Ils) ne tiennent pas à rester : ils veulent toujours avancer plus au sud. »
La fin de cette « histoire », on la connaît, bien sûr : le « miracle » de la Marne. Mais que de souffrances avant ça… Un des chapitres du livre de Louis Fontaine s’appelle : « L’occupation ». Ce qu’il y dit, ce qu’il y décrit (avec le nom des protagonistes, le nom des victimes), je ne l’avais jamais lu ailleurs (sinon de manière éparse et incomplète). Les pillages commis par les troupes allemandes (2). La razzia des camions et des véhicules. Les exactions : sévices, viols, civils pris en otages, civils fusillés, etc.
Nous sommes au cœur des combats du terrible été 1914. Une saison en enfer. Avec un grand livre pour le dire.
(1) Dont La Brie champenoise ancienne, aujourd’hui (L’Orme Rond, 1983, 3 volumes).
(2) Et aussi, ce que Louis Fontaine ne cèle pas, par quelques soldats français, hélas !
• Il y a cent ans… La Marne (22 euros franco) et Un de 14 (19 euros franco) par Louis Fontaine. A commander aux éditions de L’Orme Rond : 11 rue des Guibouts, 94 360 Bry-sur-Marne. Tél. : 01 47 06 09 54. Ou sur le site : www.lormerond.fr