La reine Fabiola est décédée ce vendredi à 86 ans. Avec sa disparition se tourne une page de près d’un demi-siècle d’histoire belge. Premier hommage à une femme qui seconda le roi Baudouin dans les bons et moins bons moments.
Le 7 août 1993, elle avait donné une extraordinaire leçon de courage et de foi aux Belges mais aussi au monde entier car les images des funérailles du roi Baudouin avaient fait le tour de la planète…
En s’habillant du blanc de l’espérance mais aussi en manifestant une exceptionnelle dignité face à la tristesse profonde qui était la sienne, après près de 33 ans d’une intense vie commune avec le cinquième Roi des Belges, Fabiola était déjà entrée dans la légende des reines qui sont plus que des reines. Entendez qu’elles sont aussi des exemples de par leurs comportements éthiques et moraux et pas uniquement des “épouses de Roi”…
Et tant pis pour ceux qui depuis des années l’avaient rangée dans le camp de ces croyantes très convaincues pour ne pas dire bigotes, pétries d’un dolorisme très espagnol que d’aucuns voulurent forcément aussi “opusien”. Tout faux: dans ses convictions religieuses aussi, la reine Fabiola manifestait une joie réelle, certaine sans nul doute dans son esprit que l’aventure terrestre ne peut que déboucher sur un au-delà prometteur. Mais la leçon de sa vie aura aussi été que le ciel se gagne d’abord et avant tout ici bas. Et c’est pourquoi la “messe de gloire et d’espérance” en hommage à son cher époux fut aussi une célébration de ses propres valeurs humanistes.
Que l’on se rappelle en contre-point au regard presque serein de la reine Fabiola, l’expression changeante du visage de certaines têtes couronnées, la reine Elizabeth d’Angleterre en tête, que l’on vit froncer les sourcils, visiblement interloquée, lorsque vint témoigner Luz, cette frêle jeune femme philippine jetée malgré elle dans le commerce de son corps, essayant d’évoquer malgré ses pleurs “son ami le Roi” qui avait bien voulu l’écouter. L’émotion devint finalement trop forte pour la jeune prostituée et c’est notre confrère Chris De Stoop (Knack) qui présenta son témoignage. Ce jour-là aussi, le Pr Nathan Clumeck évoqua le drame du sida sous les voûtes de la cathédrale de Bruxelles, renvoyant là nos souvenirs à une autre image forte de la reine Fabiola serrant dans ses bras une victime de la terrible maladie.
Une passion réelle pour la musique
Femme de culture, au singulier comme au pluriel, de la grande comme de celle du peuple, la reine Fabiola fit mieux encore en associant aussi des artistes de tous bords et de tous horizons à l’ultime hommage à l’être cher.
Et plutôt que de se retirer ensuite définitivement elle-même du monde pour attendre l’heure du dernier rendez-vous avec son Créateur et aussi des retrouvailles avec l’être cher, la reine Fabiola ne cessa de surprendre les Belges en continuant à s’investir dans les domaines qui étaient les siens.
Mais sans jamais vraiment se mettre en avant, comme cela avait toujours été le cas depuis le 15 décembre 1960, lorsqu’elle était devenue la Première Dame de Belgique. Lorsqu’à l’occasion de ses 75 ans, elle refusa obstinément honneurs et interviews, elle expliqua aux “royalty watchers” qu’il n’y avait pas place pour deux Reines en Belgique.
Et cependant lorsque le Palais faisait appel à elle pour le prerésenter à certaines activités publiques, Fabiola montrait qu’elle était toujours prête et disponible.
Et plutôt deux fois qu’une. On se rappellera – et les mélomanes n’avaient pas manqué de le souligner à moult reprises – qu’elle ne manqua quasiment aucune épreuve du Reine Elisabeth, malgré ses horaires extensibles et plutôt fatigants. Il est vrai que le sens du devoir de la Reine se doublait d’une passion réelle pour la musique et pour les jeunes artistes.
L’exil d’Espagne
En fait, Fabiola de Belgique était restée très imprégnée de sa formation sociale et culturelle d’antan.
Dona Fabiola, Fernanda, Maria de las Victorias, Antonia, Adelaïda de Mora y Aragon avait vu le jour à Madrid le 11 juin 1928 dans une famille noble espagnole dont les racines remontaient au XIIe siècle. Avant-dernière d’une famille de sept enfants, elle était la troisième fille du comte de Mora et marquis de Casa Riera, Don Gonzalo Mora Fernandez et de Dona Blanca de Aragon. Le milieu familial était aisé; la résidence de ses parents était une sorte de palais sis au numéro 5 de la Calle Zurbano en plein centre de Madrid. Un bâtiment plutôt massif de quatre étages entouré d’une lourde grille en fer forgé. La famille du marquis de Casa Riera était grande propriétaire terrienne et était réputée être fort proche de la Cour d’Espagne. Et pourtant elle n’appartenait pas à la vieille aristocratie espagnole. C’est ainsi que le titre de comte n’avait été attribué par le pape Léon XIII aux Mora qu’en 1894; par contre, celui de marquis remontait aux années 1830.
Tout allait se bousculer et basculer pour la famille Mora y Aragon exactement un siècle plus tard, au début des années trente. En effet, lors des élections législatives de 1931, les républicains l’avaient emporté et le roi Alphonse XIII était parti en exil, suivi par de nombreuses familles de la Haute société qui craignaient pour leur vie. La famille des Mora ne prit pas davantage de risques en restant en terre ibérique. Elle s’exila successivement à Biarritz, à Paris et enfin à Lausanne.
Deux ans plus tard, le vent politique avait encore tourné; la droite remportait les élections mais la monarchie ne fut pas restaurée pour autant. Et les tensions ne diminuèrent pas en Espagne, loin s’en faut. En 1936, nouveau changement radical dans les urnes avec un nouveau succès des forces progressistes. C’est suite à ce scrutin que des garnisons se soulevèrent à l’instigation du général Francisco Franco. La guerre d’Espagne commençait et elle préfigura par ses horreurs la Seconde Guerre mondiale dont elle fut en quelque sorte, c’est quelque peu ironique de le dire!, une répétition générale…
Ce fut aussi le temps de la confrontation totale entre les deux extrêmes de l’éventail idéologique. Ne se sentant pas en sécurité à Madrid, la famille Mora retourna à Paris pour ne rentrer dans la capitale espagnole qu’en 1939 lorsqu’il ne fit plus de doute que le général Franco avait pris le dessus et vaincu les républicains. Mais si la famille Mora était rentrée au pays, c’était aussi avec l’espoir réel de voir se restaurer la monarchie. Cela ne devait pas empêcher Don Gonzalo et Dona Blanca de préparer l’avenir de leurs enfants dans l’attente de pouvoir mener, enfin, une vie plus normale sans affrontements récurrents.
Sa vie au service des moins favorisés
En 1957, Don Gonzalo décédait des suites d’une vilaine chute suivie d’une opération difficile qui avait connu de sérieuses complications. Pour Fabiola, le monde s’effondrait avec la mort de son père car elle nourrissait une très grande affection pour celui avec lequel elle partagea à peu à une carrière altruiste. Son choix fut assez rapidement fait: elle ferait des études d’infirmière au service de ceux que la vie avait moins favorisés. Elle devait ainsi exercer ses talents à l’hôpital militaire de Caravancia à Madrid ainsi que dans les quartiers défavorisés de la capitale espagnole où elle fit du volontariat.
Mais Fabiola avait la fibre artistique, se partageant entre la guitare et le piano, la peinture et le dessin. Elle aurait aussi pu embrasser une carrière littéraire: peu avant qu’elle ne débarque dans le coeur des Belges, elle avait écrit un livre de contes pour enfants qui allait être traduit dans nos deux langues nationales et dont l’un d’entre eux a même servi de modèle à une attraction au parc De Efteling chez nos voisins néerlandais. “Les douze contes merveilleux de la reine Fabiola” qui étaient sortis en 1955 dans leur version originale allaient participer à son intégration en Belgique. D’autant plus que les citoyens du nord s’aperçurent qu’elle voulait et surtout qu’elle pouvait aussi parler leur langue comme elle le démontra dans une émission radio de la VRT où elle était interviewée par Lut Simoens… Il faut dire que la reine Fabiola était particulièrement douée dans ce domaine: outre l’espagnol, le français et le néerlandais, elle pratiquait aussi l’allemand et l’italien.