La censure littéraire soviétique des années 1960 avait au moins le mérite de l’idiotie – feinte ou réelle. Si les commissaires réprimaient sévèrement l’attaque frontale, ils laissaient largement filer toute la poésie, toute la subversion subtile et en oblique. Eduard Ouspenskiï est de ces écrivains qui trouvèrent dans la littérature enfantine leur lieu de création possible ; et le dessin animé Les Trois de Prostokvashino, dont il signe le scénario en 1978, est un monument de cette dissidence intérieure libertaire ayant choisi pour armes l’intelligence et l’humour. La vanité de toute entreprise qui se prend au sérieux contée aux enfants, le conformisme achevé en deux coups de pinceau, la possibilité d’une liberté relative dans le retranchement, l’écriture d’un brin de sens dans l’amitié vraie – celle qui bouscule. L’autorité qui vient fourrer son bout de nez partout en la personne d’un facteur ridicule – finalement sauvé par le partage et l’amour. Et surtout, toujours, la complexité et le paradoxe, la vie contredite par elle-même, la vérité entre blanc et noir, les certitudes volant en éclats. Les Trois de Prostakvashino est un manifeste – et un régal.
« Troe iz Prostakvashino » (réal. V. Popov, 1978).