Quoi sert finalement le SRI (Service des Relations avec l’Islam)?

 

Je viens de lire un entretien (ci-dessous après la réponse du père Pagès NDLR) avec le père Vincent Feroldi, nouveau responsable du Service pour les Relations avec l’Islam (SRI) de la Conférence épiscopale de France. Avant de présenter les commentaires que m’inspire cet entretien, je signale la photographie du père Feroldi illustrant l’article, qui nous le montre habillé en civil, et en cela dans la désobéissance vis-à-vis de l’Église, laquelle ne cesse de demander aux prêtres de porter l’habit ecclésiastique (can. 284), en sorte que si « L’habit ecclésiastique est le signe extérieur d’une réalité intérieure »[1], on a envie de demander à ce prêtre d’aller se rhabiller… En un temps où les repères traditionnels disparaissent, tandis que surgissent de partout les voiles des musulmanes et les qamis de leurs maris, comme il est judicieux de mépriser cet humble témoignage de fidélité à l’Église, d’annonce de la Présence du Dieu sauveur parmi nous ! Et bien que l’Église demande à ce que cette désobéissance soit supprimée par « l’autorité compétente »[2], nos évêques, de ce devoir, depuis des décennies, semblent n’avoir cure. C’est bien dommage, car outre le manque d’amour de l’Église qu’enseigne une telle attitude, c’est encore un excellent moyen de ruiner l’autorité : comment demander aux fidèles de témoigner de la foi lorsque soi-même on refuse d’en témoigner par ce moyen si simple de l’habit ? Et comment demander à des personnes le respect du devoir d’obéissance lorsque soi-même l’on n’obéit pas, et alors même que l’on a juré obéissance à chacune de ses ordinations ? Certes, l’air supérieur, on dira que maintenant on est habitués, et qu’« il y a plus important », et l’on piétinera ainsi un peu plus la Parole du Seigneur qui enseigne : « Celui qui est fidèle en peu de choses l’est aussi en beaucoup, comme celui qui est malhonnête en peu de choses est aussi malhonnête en beaucoup. » (Lc 16.10)… Leçon que l’entretien ne va malheureusement pas invalider.

Le nouveau responsable du Service pour les relations avec l’islam de la Conférence des évêques de France[3] nous parle « d’un Islam spirituel, chemin qui mène à Dieu et qui permet à des hommes et à des femmes de donner pleinement sens à leur vie. » Lisant cela, je demande alors à la Conférence des évêques de France pourquoi il faudrait encore être chrétien, s’il est vrai que l’islam mène à Dieu et permet de donner pleinement sens à notre vie ! Ce bon père nous invite-t-il à devenir musulman celui qui veut aller à Dieu et donner pleinement sens à sa vie ? Mais est-on encore chrétien lorsqu’on croit que l’islam mène à Dieu ? Y a-t-il plusieurs chemins pour aller à Dieu ? Est-on encore chrétien lorsque l’on nie que Jésus est le seul chemin pour aller à Dieu (Jn 14.6) ? L’autorité épiscopale est-elle engagée par ce propos ?

« Dans l’opinion publique, Islam égale djihadisme égale violence. Or je connais de nombreux musulmans témoins de la foi et qui vivent profondément les valeurs évangéliques. » Le père Feroldi se rend ici coupable de l’utilisation aussi courante que désastreuse du procédé de l’amalgame par lequel est transférée la bonté naturelle des musulmans à l’islam. Ne pas faire cette distinction est catastrophique, car à vouloir aimer les musulmans, on en vient à vouloir aimer l’islam. Qu’il y ait dans l’islam de braves gens ne doit pas être mis au compte de l’islam, mais de la nature humaine, que Dieu a créée bonne, raison pour laquelle il y a des braves gens partout. Dieu fait « lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt 5.45) » Les musulmans, partageant la même nature humaine que les autres hommes, sont, comme chacun d’eux, libres d’obéir aux injonctions de leur conscience, de faire le bien plutôt que de faire le mal, de vivre profondément « les valeurs évangéliques » ou pas. Et s’ils choisissent de vivre « les valeurs évangéliques », ce ne peut jamais être à cause de l’islam, mais toujours en dépit de l’islam, nonobstant les éléments positifs que l’islam contient, comme la reconnaissance de l’existence du Dieu créateur et son unicité, lesquels ne sont présents que pour mieux faire accroire au bien-fondé du rejet de la foi chrétienne caractérisant l’islam. « Aucun arbre mauvais ne donne de bons fruits » (Mt 7.18) Comment jamais croire que l’islam niant l’accomplissement parfait, universel et définitif du salut réalisé en Jésus et rendu présent dans et par l’Église, puisse venir d’ailleurs que de l’enfer ? Quant aux valeurs évangéliques, elles auraient dû être écrites entre guillemets, comme l’enseigne l’encyclique Redemptoris Missio, car l’on ne peut vraiment vivre les valeurs évangéliques qu’en communion avec Jésus, ce que l’islam se fait précisément gloire de refuser (Coran 2.116 ; 4.171 ; 10.68 ; 23.91 ; 43.81). « Certes, le Royaume des Cieux exige la promotion des biens humains et des valeurs que l’on peut bien dire « évangéliques », parce qu’elles sont intimement liées à la Bonne Nouvelle. Mais cette promotion, à laquelle l’Église tient, ne doit cependant pas être séparée de ses autres devoirs fondamentaux, ni leur être opposée, devoirs tels que l’annonce du Christ et de son Évangile, la fondation et le développement de communautés qui réalisent entre les hommes l’image vivante du Royaume. Que l’on ne craigne pas de tomber là dans une forme d’« ecclésiocentrisme»! »[4] De deux choses l’une, soit notre nouveau responsable des relations avec l’islam flatte publiquement l’islam dans l’espoir de se faire aimer des musulmans, et dans ce cas il n’est pas un serviteur du Christ (Ga 1.10), soit il ignore ce qu’est l’islam, et dans ce cas il n’est pas à sa place. Je ne vois pas d’autre raison possible de l’utilisation de cet amalgame.

« Je veux servir cette rencontre entre croyants et favoriser une présence harmonieuse et constructive au sein de l’espace public. » Quelle présence harmonieuse peut-on espérer avec les musulmans à qui Allah commande : « Combattez-les [chrétiens] jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association [d’Église] et que la religion soit uniquement à Allah, à lui seul ! (Coran 2.193) » ? En sorte qu’Allah leur fait dire : « Entre nous et vous, c’est l’inimitié et la haine à jamais jusqu’à ce que vous croyez en Allah, seul ! (Coran 60.4) » ?

Le père Feroldi évoque ensuite les mariages islamo-chrétiens, grands pourvoyeurs de conversions à l’islam, puisqu’un non-musulman ne peut pas épouser une musulmane, à moins de se convertir à l’islam (Coran 2.221), ce que tous les pays musulmans exigent, et à quoi très dévotement l’administration française se soumet dans le cadre de ses accords bilatéraux. Je saisis l’occasion de faire remarquer que pour un chrétien, professer la foi musulmane, la Chahada, signifie apostasier la foi chrétienne, et donc perdre la vie éternelle… Je sais que des prélats ― jusqu’au Vatican ― conseillent d’accepter ce qu’ils veulent considérer comme une simple formalité, mais Notre Seigneur a enseigné à préférer Son amour à tout autre : « Si quelqu’un vient à Moi sans Me préférer à quiconque [y compris son conjoint], il ne peut être mon disciple. » (Lc 14.26) Le responsable du SRI regrette que les familles ne voient pas d’un bon œil de telles unions, parce que ces couples « veulent donner une dimension spirituelle à leur union ». Mais quelle union spirituelle peuvent envisager des personnes divisées jusque dans leurs relations à Dieu, Source et Fondement de l’amour ? Comment ne faire qu’un sans être unis au même Dieu ? Qu’y a-t-il de plus important ici-bas et pour l’éternité que notre union à Dieu ? Est-ce sans raison que saint Paul demandait à ce que l’on se marie « dans le Seigneur seulement (1 Co 7.39) » ? Les orthodoxes ne bénissent pas de mariages islamo-chrétiens, et les évêques d’Italie ont eu le courage de les déconseiller « du fait que l’islam considère la femme inférieure à l’homme, du fait que pour l’islam le mariage n’est qu’un simple contrat, que l’homme peut annuler quand il le souhaite, et du principe selon lequel les enfants appartiennent au père et doivent nécessairement suivre sa religion, au point que la mère ne peut même pas exiger que les enfants lui soient confiés en cas de décès du mari. »[5]…

Dans le contexte des relations islamo-chrétiennes, où prévaut l’ignorance de la foi chrétienne, tant du côté musulman que souvent aussi du côté chrétien, il importe de toujours expliciter les notions utilisées, d’utiliser toute occasion pour faire œuvre catéchétique. Or, un propos comme celui-ci : « L’esprit du Christ n’est pas réservé à ma communauté. Il est aussi présent au cœur de mes frères musulmans », témoigne d’une grave confusion, et au carré, qui favorise l’hérésie de l’indifférentisme religieux.

Premièrement, elle laisse entendre que les musulmans sont nos frères. Ce qui n’est pas le cas, puisque est frère d’un chrétien celui qui fait la volonté de Dieu (Mc 3.35), or celui qui obéit à l’islam ne fait pas la volonté de Dieu. Ou alors, encore une fois, que l’on nous dise pourquoi il faudrait encore rester chrétien et ne pas devenir musulman ! Certes, on dira que nous sommes frères en humanité. Mais cet essai de justification n’a rien de pertinent, car se situer sur ce plan n’a rien de proprement chrétien : on peut très bien être homme sans être chrétien (Cf. Mc 3.35 : 2 Co 5.16 ; 11.18).

Deuxièmement, le propos laisse entendre que le Saint-Esprit serait présent chez les musulmans comme il l’est dans l’Église. Or, le Saint-Esprit n’est présent en tout homme que comme un étranger de passage, tel le vent qui passe pour inviter à chercher Dieu et à Le reconnaître dans le Christ (Jn 3.8), tandis que chez un chrétien, Il y est chez Lui (2 Tm 1.14), à demeure, devenu avec lui un seul esprit (1 Co 6.17 ; He 6.4), pour le spiritualiser et diviniser (2 P 1.4). C’est tout de même autre chose ! Si le Saint-Esprit était présent chez les non-baptisés comme chez les baptisés, pourquoi encore demander le baptême afin de recevoir le Saint-Esprit (Ac 2.38) ? « L’Esprit Saint demeure dans l’Église, la vivifie de ses dons et de ses charismes, Il la sanctifie, la guide et la renouvelle sans cesse. Il en résulte une relation singulière et unique qui, sans exclure l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors des limites visibles de l’Église, confère à celle-ci un rôle spécifique et nécessaire. D’où aussi le lien spécial de l’Église avec le Royaume de Dieu et du Christ qu’elle a ‘la mission d’annoncer et d’instaurer dans toutes les nations.’ »[6] On ne voit pas que le dialogue joue son rôle s’il gomme la spécificité chrétienne pour l’identifier à la condition d’autrui.

Enfin, le père Feroldi nous dit avoir « pu communier profondément à ce temps de prière » qu’est de la fête de l’Aïd-al-Adha. Mais comment est-il possible de communier à une prière antichrétienne ? Ce prêtre n’a-t-il pas appris que « La prière commune est basée sur une foi commune, et donc pleinement partagée par ceux qui s’y associent »[7] ? Même le cardinal Tauran le reconnaît : « Prier ensemble, cela s’appelle du syncrétisme »[8]… une hérésie. Je souhaiterais que les membres de l’Eglise impliqués dans le dialogue inter-religieux méditent davantage ce commandement de saint Paul : « Ne formez pas d’attelage disparate avec des infidèles. Quel rapport en effet entre la justice et l’impiété ? Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? Quelle entente entre le Christ et Béliar ? Quelle association entre le fidèle et l’infidèle ? » (2 Co 6.14-15)

Tout semble fait aujourd’hui non pas pour fortifier les fidèles contre l’islam[9], qui n’a d’autre raison d’être que de détruire le christianisme et conduire en enfer, mais pour le leur faire aimer. A quoi sert au fond le dialogue islamo-chrétien, et le SRI qui est à son service, sinon à donner à l’islam la respectabilité dont il a besoin pour islamiser en toute tranquillité la société, et donc les chrétiens eux-mêmes ? Sans douter des bonnes intentions du père Feroldi, je suis porté à prendre au sérieux la dénonciation par Notre Dame à Akita des compromissions par lesquelles Satan s’introduit dans l’Église. De même que j’ai horreur de voir l’Église catholique siéger au sein de la Conférence des Responsables de culte en France, parce que, selon la volonté de la religion républicaine pour qui toutes les religions se valent, elle donne ainsi à voir qu’elle a renoncé à s’affirmer comme la seule vraie religion, « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3,15), favorisant ainsi l’indifférentisme[10], de même, je souhaiterais que nous n’ayons pas de relation avec l’islam, pas de SRI ! N’est-ce pas ce que demande le doux saint Jean, l’Apôtre de l’Amour : « Si quelqu’un vient à vous sans apporter cette doctrine [l’Évangile], ne le recevez pas chez vous et abstenez-vous de le saluer. Celui qui le salue participe à ses œuvres mauvaises. » (2 Jn 1.10-11) ?

[1] Congrégation pour le Clergé, Directoire pour la vie et le ministère des prêtres, n°61.

[2] idem n°61 b.

[3] http://www.relations-catholiques-musulmans.cef.fr/2015/09/01/passage-de-temoin-a-la-direction-du-sri/

[4] St Jean-Paul II, Redemptoris Missio, n°19.

[5] http://www.bladi.info/threads/vatican-mariage-catholique-musulman.44711/

[6] Redemptionis Missio, n°18.

[7] http://www.vatican.va/jubilee_2000/magazine/documents/ju_mag_june-sept-1996_fortino_fr.html

[8] http://fr.aleteia.org/2013/01/21/musulmans-et-chretiens-peuvent-ils-prier-ensemble/

[9] Ce qu’a pourtant demandé Jean-Paul II (cf. Ecclesia in Europa, n°57).

[10] « De telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu’elles s’appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables, en ce sens que toutes également, bien que de manières différentes, manifestent et signifient le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous pousse à reconnaître avec respect sa puissance. En vérité, les partisans de cette théorie s’égarent en pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et l’athéisme. La conclusion est claire: se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c’est s’éloigner complètement de la religion divinement révélée. » (Pie XI, Mortalium animos)

 

Abbé Guy Pagès – Islam et vérité

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Equipe sri nvelle de gauche a droite c desfray chopick j f bour v feroldi c hamza a perouchine(L’équipe du SRI. De gauche à droite: C. Desfray-Chopick ; Frère J-F Bour, o.p. ; Père V. Feroldi ; Sœur C. Hamza ; A. Perouchine)

P. Feroldi : « La laïcité à la française n’est pas l’absence de religion”

(Source: Conférence des évêques de France)

Prêtre du diocèse de Lyon, historien de formation, longtemps aumônier de prison et d’hôpital, le Père Vincent Feroldi prend la tête de l’équipe du Service national pour les Relations avec l’Islam (SRI). Rencontre avec un homme de conviction et de terrain.

Quelles expériences vous ont menées aujourd’hui au SRI ?

Cela fait une quarantaine d’années que je suis amené à rencontrer des Musulmans. Depuis les années 70, la rencontre et le dialogue avec des personnes de culture ou de foi musulmane ont énormément changé, parce que le monde a bougé. Il y a 40 ans, mes premiers contacts sont des travailleurs immigrés, dans des foyers Sonacotra. La France est allée les chercher pour leur donner du travail dans les usines ou dans le bâtiment. Ces hommes sont venus seuls – alors qu’ils étaient mariés – pour faire vivre leur famille et ils se sont fondus dans le paysage du pays d’accueil. En faisant de l’alphabétisation pour ces travailleurs maghrébins, je découvre qu’ils ont une religion. 10 ans après, dans le cadre de vacances, je vais au Maroc. J’y rencontre la culture berbère et des croyants, « des adorateurs », comme ils diraient. Je me rends compte que leur système de compréhension du monde et leur religion forment un tout. A travers eux, je saisis, au quotidien et spirituellement, la réalité du pluralisme religieux.

Par la suite, l’Eglise au Maroc m’interpelle pour me demander de partager sa vie, en tant que prêtre Fidei Donum. Aussi, de 1995 à 2001, je vais être, pour une part, dans l’une des institutions de l’Eglise qui est au Maroc, « La Source », une bibliothèque universitaire qui dépend du diocèse de Rabat, lieu de rencontre et de dialogue avec le monde universitaire marocain. Et d’autre part, en monde berbère, de par mon travail de consultant dans une ONG marocaine, Adrar (« montagne »).

Historien de formation, je me remets également à faire de la recherche. Je travaille avec un universitaire musulman marocain – aujourd’hui Directeur des archives nationales. Ensemble, nous publions « Présence chrétienne au Maroc ». Ce travail universitaire à quatre mains sur un sujet d’histoire religieuse fait naître une amitié profonde entre nous, avec des échanges spirituels et théologiques. Je deviens alors membre du Groupe de Recherches Islamo-Chrétien (GRIC) qui rassemble des chercheurs chrétiens et musulmans du bassin de la Méditerranée. J’en serai même le Secrétaire Général quelques années.

Parla suite, je voyage en Tunisie, Algérie, Liban, Syrie, Mauritanie, Israël, Palestine… J’y découvre la diversité du monde musulman. Je comprends que l’Islam se conjugue au pluriel : chiite, sunnite, malékite, druze… J’entre un peu plus dans sa complexité.

Puis vous rentrez dans le diocèse de Lyon…

Je suis chargé de la communication du diocèse, avant de me donner la responsabilité des relations avec les musulmans. Je suis beaucoup sur le terrain. Une série d’événements va toucher l’Eglise en France et les relations islamo-chrétiennes. En février 2007 a lieu le voyage du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, à Tibbhirine (Algérie). Nous sommes autant de Chrétiens que de Musulmans. Cette expérience sera fondatrice : s’y nouent des liens d’amitié, de respect, « d’entre-connaissance » et le désir d’approfondir ensemble.

Au milieu de tout ça, le monde change. La quête identitaire, partagée par toutes les communautés, est palpable. Chacun s’interroge sur qui il est et souhaite être reconnu comme tel. Tellement forte, cette montée des identités est devenue conflictuelle. Elle se fait au détriment du « vivre ensemble ».

Je suis convaincu que, dans ce monde en perte de repères, il nous faut changer de paradigme. Un monde s’achève, un autre est en avènement. Il est peut-être déjà en partie né – on ne sait pas. Toutes les institutions, politiques, économiques, familiales, sont remises en cause. Il est donc d’autant plus important de se retrouver et de dialoguer.

Sur la région Rhône-Alpes, les responsables religieux ont le désir de le faire à partir de questions qui touchent nos communautés : mariages interreligieux, aumôneries (prison, hôpitaux, armée), signes religieux, nourriture, espaces religieux (cimetières)…

Nous percevons que ces problématiques concernent tout l’espace français. Lors d’une conférence qui rassemble le P. Christophe Roucou (alors Directeur du SRI), le cardinal Philippe Barbarin, Azzedine Gaci (Recteur de la mosquée de Villeurbanne), Tareq Oubrou (Recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux), celui-ci demande aux Chrétiens : « Aidez-nous à faire que l’Islam qui se déploie en France ne soit pas l’Islam des ignorants ». J’ai été énormément bousculé par cette parole forte. Après plusieurs rencontres, Azzedine Gaci et moi-même avons pris la décision de créer – à titre personnel, non pas institutionnel – le Forum National Islamo-Chrétien. Des hommes et des femmes, Chrétiens ou Musulmans, qui servent la plupart de hautes responsabilités dans leurs communautés, se rencontrent alors, dialoguent et travaillent ensemble.

L’actualité vous pousse à accepter la responsabilité du SRI…

Se produisent alors les dramatiques événements en Iraq et en Syrie. Fin juin 2014, on apprend la création de l’Etat islamique. En juillet, les Chrétiens doivent fuir Mossoul. De retour d’Iraq, le cardinal Barbarin donne une conférence de presse. Je mesure alors, au plus profond de moi-même, que quelque chose d’extrêmement complexe est en train de se passer. Je me mets à suivre tout ce qui concerne le djihadisme. En septembre 2014, avec Azzedine Gaci, nous encourageons les responsables musulmans à parler dans les médias. Le 1er octobre, nous lançons « L’Appel des 110 », invitation à ce que les signataires s’engagent, là où ils sont, à agir. Si aujourd’hui je suis au SRI, c’est en raison de la gravité de la situation. Je me sens très proche de la communauté musulmane. J’estime qu’il nous faut défendre l’idée que le dialogue n’est pas facultatif mais nécessaire, qu’il est possible et qu’il est enrichissant. Ce n’est pas parce qu’il y a un Islam politique, dont l’exemple le plus terrible serait Daesh, qu’il n’y a pas un Islam spirituel, chemin qui mène à Dieu et qui permet à des hommes et à des femmes de donner pleinement sens à leur vie. D’une certaine manière, c’est presque plus pour les Musulmans que pour l’Eglise en France que j’ai dit « oui » au SRI ! Dans l’opinion publique, Islam égale djihadisme égale violence. Or je connais de nombreux Musulmans témoins de la foi et qui vivent profondément les valeurs évangéliques. Je veux servir cette rencontre entre croyants et favoriser une présence harmonieuse et constructive au sein de l’espace public.

Quels défis vous attendent au SRI ?

Un premier défi est celui des mariages islamo-chrétiens. En raison du repli identitaire des communautés, les familles ne les voient pas d’un très bon œil. Or ces couples croient en leur amour et en leur capacité de fonder une famille ; ils veulent donner une dimension spirituelle à leur union. Je me réjouis que le prochain Synode sur la famille aborde notamment ce sujet.

Le deuxième est celui de la laïcité. Telle qu’elle est définie par la loi, la laïcité peut être une richesse et nous aider à vivre ensemble dans l’espace français. Dans cette période de campagne électorale et dans un contexte d’instrumentalisation des religions, il est très important de pouvoir se rencontrer et travailler ensemble au niveau des différentes communautés. L’accueil des migrants, comme la précarité ou la montée de la violence dans notre société, sont des défis que les religions peuvent relever ensemble et avec d’autres. Nous sommes citoyens et croyants. C’est au cœur de cette citoyenneté que nous avons à prendre notre place. Plus nous agirons avec d’autres, mieux ce sera.

Le troisième défi va être d’aider les pouvoirs publics, nos politiques et tous les acteurs sociaux à découvrir que la laïcité à la française n’est pas l’absence de religion. C’est la prise en compte du citoyen dans toute sa dimension. Il faut faire en sorte que tous les croyants puissent vivre paisiblement leur foi. Par ma propre vie, j’ai la chance d’avoir bénéficié de cette laïcité : j’ai été 12 ans aumônier de prison. Je suis actuellement aumônier d’hôpital. Voilà deux lieux de l’espace public où les différentes composantes religieuses ou philosophiques ont eu à travailler ensemble, pour le bien du détenu ou du patient. Je parle d’expérience. Non seulement c’est possible mais c’est aussi une organisation de la société qui peut être très heureuse. Il faut une laïcité apaisée.

Enfin, je pense que le SRI a besoin de « produire de la pensée ». Dans notre monde où tout va très vite, où le poids des images et le choc des émotions dirigent notre vie, je me rends compte que la vie est de plus en plus complexe. Il est donc important de prendre le temps de réfléchir à frais nouveau, en fonction de cet aujourd’hui. Que mettons-nous derrière le mot « dialogue » ? Est-ce débattre, discuter, vouloir défendre ses convictions ? Pour moi, dialoguer, c’est entrer en conversation avec quelqu’un, me mettre à son écoute. De notre échange va naître un déplacement nécessaire. Je me laisse traverser par la parole de l’autre.

Il y a enfin à élargir le champ de nos partenaires musulmans et, avec tous, à travailler en profondeur. Quatrième défi !

Quelle sera l’actualité du SRI prochainement ?

En décembre, sortira un deuxième DVD, sur des actions – alors que le premier portait sur les acteurs du dialogue. Les Centres de Préparation au Mariage (CPM) vont publier aussi un hors-série sur le mariage islamo-chrétien. Nous interviendrons en région pour des formations. Au vu du succès de la session annuelle à Orsay, nous avons le projet de proposer un nouveau parcours de formation, avec un module d’initiation et un module d’approfondissement. Il y a eu des forums régionaux en juin dernier, dans quatre villes. L’expérience sera renouvelée en juin 2016.

Dans quel état d’esprit accueillez-vous cette nouvelle mission ?

Je pense au Bon Pasteur, quand Jésus dit : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos » (Evangile selon Saint Jean, 10, 16). Le Christ est venu pour tous. Je dois accepter ce mystère : je ne peux ni spirituellement ni intellectuellement tout maîtriser. L’esprit du Christ n’est pas réservé à ma communauté. Il est aussi présent au cœur de mes frères musulmans et Il m’invite à aller à leur rencontre, à vivre et à dialoguer avec eux. A marcher avec eux, chacun vivant sa propre foi. Invité dans la famille d’un ami musulman au Maroc pour la fête de l’Aïd-al-Adha, je me souviens d’avoir pu communier profondément à ce temps de prière, de partage fraternel et de solidarité avec les autres. Je souhaite qu’à l’occasion de cette fête, nos amis musulmans trouvent les chemins par lesquels eux et nous pourrons ensemble répondre au défi de l’accueil des migrants et des réfugiés. Il me semble que pendant ce moment où la communauté se retrouve, elle peut aussi s’ouvrir à cette réalité. Je voudrais les rejoindre dans cette ouverture.

Des voeux pour l’Aïd el-Adha?

Célébrée le 24 septembre, cette fête marque la fin du pèlerinage à La Mecque. L’équipe du SRI souhaite aux responsables musulmans en France, à tous les amis musulmans et musulmanes un bel Aïd, « porteur de paix et de bénédictions de la part de Dieu ». « Qu’à l’image d’Abraham, Dieu le Tout Puissant, riche en miséricorde, nous garde ensemble dans la fidélité et la confiance, pour continuer notre pèlerinage sur la terre marquée aujourd’hui par des souffrances multiples

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