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Il y a quatre ans, le musée de la Marine (Paris) avait rendu un bel hommage à Mathurin Méheut en n’omettant aucune des multiples activités graphiques et picturales de l’artiste. Le musée de Lamballe se concentre sur une technique particulière, celle de la gravure.
Au début du XXe siècle, la gravure sur bois de fil supplante la lithographie dans le cœur des artistes : en même temps qu’ils ont retrouvé l’esprit de cette technique, elle a retrouvé ses lettres de noblesse. Il n’est donc pas étonnant de voir Méheut s’y intéresser. Est-ce paradoxal de consacrer toute une exposition à cette technique alors qu’il n’a gravé lui-même qu’une quarantaine de bois et de lino, et ce sur une durée limitée (en gros 1910-1920) ? Non, car dans cette production limitée Méheut est lui-même : créatif et sans fausse note.
Il expose d’abord en 1910 quatre petites gravures animalières : un canard, des chèvres, des pigeons, une chouette. Sous leurs apparences modestes, ces gravures sont déjà un coup de maître par l’adaptation du motif au fil du bois. En 1913, il expose encore des gravures animalières, plus ambitieuses, en deux tons : des renards, des cigognes, un bélier avec des brebis, un gode (ce n’est pas un canard mais une sorte de petit pingouin), un crabe. De la même période datent deux gravures complexes et magnifiques : les Charbonniers en forêt, dont la mise en page est osée et le jeu des troncs de bouleaux tout à fait graphique ; les Goémoniers, où l’artiste rend lisible ce qui est pourtant un magma de rochers, d’algues et de marins.
Après guerre, Méheut séjourne un an en pays bigouden, à Saint-Guénolé-Penmarc’h (1919-1920). Il observe les habitants « en artiste ethnographe », écrit Philippe Le Stum. Il accumule croquis et gouaches, et grave huit grandes planches qui méritent d’être dénommée « suite bigoudène » (1920). Ce sont, comme presque toujours, les travaux et les jours bretons qui l’intéressent : remontée des barques, femmes et hommes aux champs, femmes reprisant des filets, pêcheur jetant le rogue (œufs de poisson employés comme appât)… Dans cette suite, il y a des gravures sur bois, d’autres sur lino. Méheut a abandonné le deux tons, s’en remettant au couple du noir et du blanc pour exprimer, sous l’apparente simplicité du moyen, la pénibilité des travaux, la force des travailleurs – et la puissance de son trait.
Les illustrations
Passé 1920, Méheut ne grave plus que de temps à autre (superbe homard en trois tons : bleu, rouge, noir). Cependant paraît en 1923, chez l’éditeur parisien Mornay, Le Gardien du feu d’Anatole Le Braz avec des « bois de Méheut » au nombre de 68. C’est une supercherie éditoriale qui dissimule un truchement : Méheut a dessiné les illustrations, et Louis-Joseph Soulas les a gravées sur bois. Bien sûr, connaissant la gravure, Méheut a composé ses illustrations de façon à ce qu’elles passent au bois très aisément. Elles sont très libres vis-à-vis du texte. Méheut préfère évoquer le pays où se déroule l’action, et surtout le labeur de l’homme dans le paysage. Un ensemble de lettres montre les échanges entre les deux hommes. « Tâche que le trait vibre un peu et ne soit pas comme dans mon dessin un peu trop à plat, trop monotone », écrit Méheut à Soulas.
Le même duo, chez le même éditeur, œuvre aux illustrations de La Brière d’Alphonse de Châteaubriant (1925). Là le nom de Soulas apparaît. Une fois encore, on sent le plaisir qu’a Méheut à croquer un terroir avec ses spécificités, ici marécageuses. Une tout autre région l’attend pour sa collaboration à une troisième édition bibliophilique : la Sologne de Raboliot (1927, Cercle parisien du livre). Méheut y séjourne, y rencontre Genevoix, parcourt la région et remplit ses carnets de croquis. Là encore, il ne grave pas, s’en remettant à un autre praticien, Georges Beltrand. Celui-ci est un spécialiste du bois de bout, manière qui permet plus de finesse et de virtuosité que le bois de fil – ce qui peut être un défaut. Cependant ne nions pas la beauté de ces gravures très colorées, où l’invention de Méheut ne s’essouffle jamais.
Méheut retrouve Le Braz et Beltrand en 1937 avec Au pays des pardons (éditions Albert Richard), avec des illustrations de qualité, dynamiques, enlevées (Les Tambours de Locronan, Procession à Sainte-Anne-la-Palud).
Le musée de Lamballe a organisé l’exposition sur deux axes : contemplatif d’une part, didactique de l’autre. Les explications sur les techniques de la xylographie et de l’estampe en général ne sont pas superflues, car le néophyte s’y perd parfois. Gouaches préparatoires, bois gravés, tirages constituent un ensemble cohérent et à haute valeur artistique. Pour ceux qui (comme moi) ne peuvent se déplacer ou ceux à qui Lamballe paraît loin, le catalogue offre une compensation de qualité.
- Mathurin Méheut, Impressions gravées. Jusqu’au 30 décembre 2017, musée Mathurin Méheut (Lamballe).
- Catalogue : Philippe Le Stum, Denise Delouche, Virginie Caudron, Mathurin Méheut, Impressions gravées,éditions Locus solus et Musée Mathurin Méheut. 112 pages, 20 euros.
Visuel en Une
Mathurin Méheut, Le Jeteur de rogue, collection particulière. © ADAGP, Paris, 2017.