Le mot a fleuri dans les gazettes au lendemain du 11 Novembre, après que le président de la République eut été sifflé par les électeurs. Il y a là une espèce d’hypallage, soit un décalage de la cause vers l’effet : les gazetiers ont entendu les lazzis comme l’entendait Barrès, qui parle (dans Leurs figures) d’un « carnaval de lazzis et d’injures » ; au lieu que le sens propre, et premier, désigne selon Littré une « suite de gestes et de mouvements divers, qui forment une action muette » qui nous vient de la comédie italienne.
Les lazzis sont d’abord une bouffonnerie muette, sur la scène, avant d’être les sifflets ou quolibets qu’ils provoquent dans le public en guise d’applaudissements : et nous voilà revenus à la vérité politique de l’actuel locataire de l’Élysée, vérité qui apparut à tous les yeux le jour qu’une spectatrice d’un de ses meetings de campagne l’enfarina. On songeait ces derniers jours, en voyant les chauffeurs routiers, après les paysans, après les Bretons, après les sages-femmes, après les enseignants, après les cavaliers, après les prostituées, après leurs clients, enfin après quasi tout le monde, on songeait, disions-nous, au mot de Rivarol : « Quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir », et l’on y songeait non sans scrupule, le scrupule d’avoir à déranger une si grande voix à propos d’un si piètre bouffon. Piètre à coup sûr, mais surtout pathétique : plus personne n’a le coeur à rire de ce personnage éperdu qui pousse le ridicule jusqu’au sinistre. Une variante française des lazzis fut jadis la turlupinade ; notre bouffon en renouvela l’usage par la “petite blague”, jusqu’à s’en faire une méthode de gouvernement. Il n’a pas fallu dix-huit mois pour que le procédé montre ses limites. Les ficelles sont cassées, on s’obstine, on se cabre, on s’affole : c’est ainsi, second acte, que Turlupin devient Ubu.
Valeurs actuelles – 3 décembre 2013