« Il suffit de se demander à qui profitent l’émiettement de la Nation et la toute-puissance de l’Etat centralisateur. » ( Maurras)

Une redécouverte de l’article de Charles Maurras en 1898 au sujet de la décentralisation ne peut être que fructueuse. Vous pouvez retrouver ce texte ici .

S’il regrette que le terme décentralisation puisse sembler être un terme vague, Maurras lui offre une définition alléchante : « On appelle décentralisation un ensemble de réformes destinées à reconstituer la patrie, à lui refaire une tête libre et un corps vigoureux. » Une vision qui ne pouvait que séduire les amoureux du pays réel puisque ses premiers instigateurs auraient été des proches de Louis de Bonald.

Le sens de la décentralisation

Pour Maurras, la Nation donne tout à l’Homme qui ne naît finalement à la citoyenneté qu’une fois devenu digne de cet héritage. Cette Nation doit être servie par un pouvoir fort garant de l’unité nationale, de la concorde et protégeant les Français des germes du désordre. Dès lors la question de la décentralisation pourrait semble paradoxale dans le logiciel maurassien. Loin s’en faut, en effet le provençal annonce : « On ne rétablira chez nous une autorité permanente, un pouvoir central durable, responsable et fort, qu’au moyen de libertés locales étendues. »

C’est la commune qui est le meilleur moteur de cet enracinement tout à l’opposé des départements, artefacts révolutionnaires qui n’ont aucune prise sur la vie des citoyens. La commune est un lieu d’authentification, un axe offrant une proposition de vie à celui qui choisit de s’en emparer. Les adversaires deviennent donc ceux qui veulent extirper l’homme de ses attaches charnelles, ainsi Léon Blum : « La famille, la commune, rien ne fausse et ne diminue l’énergie comme de tels groupements. Ce sont les collectivités les plus dangereuses, parce que nous les aiment et parce qu’elles nous retiennent. » .

Le sujet est d’une profonde actualité puisqu’il s’agit alors de permettre un nouvel enracinement de la population : « Seule, ou à peu près seule, la commune est réelle, et peut jouir d’une personnalité . » En effet la différence communale est un lieu de sensation de l’inclusion/exclusion, elle seule permet l’avènement d’un esprit de clocher capable de faire ressentir ce qui explique l’existence de la Nation et en même temps la vigueur de ses territoires : « Communauté et différences de notre sol, communauté et différences de notre sang, c’est ce qui fonde cet esprit fédéral et ce sentiment national sans lesquels toute décentralisation serait incompréhensible. »

Maurras va faire le choix du fédéralisme en espérant y trouver un moteur du réveil national. « Le sol, le sang, la tradition demandent partout à exercer leur portion nécessaire d’influence et de prépondérances morales. ». C’est  bien une méthodologie du sursaut national que l’auteur d’Anthinéa cherche à désigner en étudiant la solution de la monarchie fédérative. Il conclut ainsi : «  Qui voudra réorganiser la Nation en devra recréer les premiers éléments communaux ou provinciaux. Qui veut réaliser le programme nationaliste doit commencer par une ébauche de fédéralisme. »

Sa défense politique.

L’intérêt de l’idée de décentralisation est de transcender les appareils partisans. Ainsi ces premières heures furent les lois de 1831 et 1833 affranchissant pour l’une les municipalités et pour l’autre les conseils généraux de la tutelle étatique.

Cette idée sera également reprise par Napoléon III qui se laissa influencer et par les arguments libéraux du projet de Nancy (1) mais aussi par les conclusions de la philosophie individualiste de Proudhon ( Du Principe fédératif ) .  On peut lire ainsi dans l’essai de Proudhon : par le mot Nationalité écrit en tête de son nouveau programme Non contente de se faire parti de statu quo elle s est faite parti rétrograde Et comme la Nationalité telle que la comprend et l interprète la Démocratie a pour corollaire l Unité elle a mis le sceau à son abjuration en se déclarant définitivement pouvoir absolu indivisible et immuable. ( 2) En 1870 se lèvera un vrai foisonnement de la réflexion décentralisatrice notamment avec des sociétés de provinces et des tours de conférence. Les poètes provençaux et singulièrement Mistral avec Mireille participeront pleinement de cet engouement. En 1890 les communes auront le droit de se syndiquer.

La défense de la décentralisation va aussi se développer autour de Taine, Mistral et Le Play mais aussi de partisans plus radicaux comme La Tour du Pin et Albert de Mun. La décentralisation reste un des éléments cependant constitutifs de l’opposition entre les partisans d’une France légale issue de 1789 et de ceux qui lui préfèrent une Nation incarnée comme on peut le lire dans le dernier chapitre de cet ouvrage :http://books.google.fr/books?id=hg9d02lszFgC&pg=PA367&lpg=PA367&dq=projet+de+nancy+Napol%C3%A9on+III+d%C3%A9centralisation&source=bl&ots=VJOX4lGPOs&sig=ujPzeVx2NeYPQgkRrbQF19PQLAc&hl=fr&sa=X&ei=w6ahU97LLPLP0AXTmYGACA&ved=0CCwQ6AEwAg#v=onepage&q&f=true

1 : on trouvera ici un article résumant le projet de Nancy : http://www.napoleontrois.fr/dotclear/index.php?post/2007/10/25/235-le-programme-de-nancy-1865

2 : texte du Principe fédératif de Prouhon : http://books.google.fr/books?id=ho0XAAAAYAAJ&pg=PR3&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=2#v=onepage&q&f=false

Barrès et Les Déracinés.

Pour Maurras, c’est l’écrivain patriote et lorrain, Maurice Barrès qui fût l’un des plus ardents défenseurs de la décentralisation. Les Déracinés, premier volet du roman de l’énergie nationale décrit l’initiation traumatisante de jeunes étudiants lorrains à la vie parisienne. Le traumatisme de l’abandon de sa culture et de l’adhésion forcée à des doctrines philosophiques universalistes y est merveilleusement décrit. En effet, le roman de Barrès va retrouver le préambule de la réflexion maurassienne : « Un individu ne se développe pas tout seul. Il lui faut mille circonstances propices : une famille, un pays bien déterminés, une atmosphère intellectuelle et morale, ce qui manque enfin à la France dissociée et décérébrée. »

Il faut dire que Barrès avait participé à l’union de deux doctrines essentielles : la fédéralisme et le nationalisme. Cette union s’incarnait profondément dans le journal qu’il avait lancé la Cocarde. Maurras écrit : « Il insista pour substituer au patriotisme administratif un patriotisme terrien et remplacer l’image d’une France idéale, chère à quelques rhéteurs, par l’idée d’une France réelle, c’est-à-dire composée comme dans la réalité de familles, de communes, de provinces, tous éléments non point contraires ou divisés entre eux, mais variées, sympathiques et convergents. » Barrès abandonnera la cocarde en 1895 quand elle devint la ligue républicaine de décentralisation.

Ce que Maurras aime à trouver dans Les Déracinés c’est la différence entre un localisme incarné et la pauvreté de la robotique centralisatrice jacobine. Ainsi annonce-il : « Quand un homme tient à son sol et à son milieu naturel ses ressources naturelles n’ont point de bornes, ce qu’il dépense, il le reconquiert et le renouvelle par un emprunt continuel à l’inépuisable nature, avec laquelle il communique incessamment. »

 

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