Bien évidemment, il n’est pas question, à travers ces lignes, de justifier la violence, mais il conviendrait cependant de relativiser. Passons sur les propos de Christophe Castaner qui a osé – mais c’est sa marque de fabrique – qualifier l’attaque de permanences de députés LREM d’« attentat » : « Quand on passe les bornes, il n’y a plus de limites », disait Alfred Jarry, l’auteur d’Ubu roi. Comme disait Wallerand de Saint-Just, conseiller régional RN d’Île-de-France, vendredi dernier, au micro de RTL, « ces pauvres chéris, ah, du fumier devant leur permanence, c’est épouvantable… »
Comme si, effectivement, la chose était nouvelle en France que de déverser du lisier, du fumier, des fruits ou des légumes pourris et toutes sortes de choses devant des bâtiments officiels. Certes, il y a des traditions plus sympathiques. Certes, les sous-préfectures ou les centres des finances publiques étaient coutumiers du fait : une sorte d’héritage venant de l’Ancien Régime lorsque la populace pouvait aller jusqu’à pendre le gabelou à la lanterne. Mais, entre nous, que peut un pauvre sous-préfet au champ, à part faire remonter les informations à Paris ? Il est vrai, aussi, assez curieusement, que, jusqu’à maintenant, les députés de la nation avaient été relativement épargnés. Pourtant, qui vote les lois ?
Or, on a le sentiment que l’emmurement de ces permanences relève du sacrilège, de la profanation. Il est vrai que la plupart de ces députés ne doivent leur élection qu’au seul fait d’avoir eu leur bobine accolée à celle d’Emmanuel Macron sur les affiches électorales. Donc, s’attaquer à leur permanence, c’est, comme qui dirait, s’attaquer au Président. On leur avait dit que leur job de député allait consister à voter la loi, point barre. Fini, le député héritier des députés des trois ordres qui montèrent à Paris en 1789 pour porter les doléances du pays profond. Par ailleurs, on ne leur avait peut-être pas assez parlé de cette phase qui s’appelle le retour du député en circonscription en fin de semaine. La France est un vieux pays et, que ça plaise ou pas, c’est ainsi. Alors, on se demande bien si, après ces incidents, il n’y aura pas des députés pour suggérer que les votes à l’Assemblée, à l’avenir, soient secrets. L’anonymat a parfois du bon…
« Ces pauvres chéris » devraient néanmoins relativiser ce qui se passe aux abords de leur permanence, et ce, en examinant un peu notre histoire politique et sociale contemporaine. Ah oui, c’est vrai, on ne leur a peut-être pas dit, durant leur stage accéléré avant élection, que la France avait une histoire politique et sociale… Un exemple parmi des centaines d’autres : cela se passait, non pas sous Mandrin ou Cartouche, mais sous le père de Gaulle. À une époque où l’autorité de l’État n’était pourtant pas un vain mot. Ainsi, le 4 juin 1961, jour d’élection cantonale, des paysans bigoudens brûlèrent carrément des urnes électorales à Pont-l’Abbé. Une semaine avant, des centaines de kilos de pommes de terre, enduites de gas-oil, avaient été déversées dans les rues de Pont-Aven. Le 8 juin, la ville de Morlaix fut bloquée par plusieurs milliers d’agriculteurs et la sous-préfecture fut investie. Pris à la gorge, les paysans bretons se refusaient à vendre leurs produits en dessous d’un prix plancher. Le leader du mouvement, un certain Alexis Gourvennec, issu de la Jeunesse agricole catholique, et qui avait grandi chaussé de sabots, fut arrêté et emprisonné après cette manifestation. « Quand la raison ne paie plus, il faut être déraisonnable », déclarait-il. S’ensuivirent des manifestations de solidarité. Gourvennec et son acolyte, Marcel Léon, seront jugés le 22 juin… et relaxés. Ils furent portés en triomphe dans les rues de Morlaix par 10.000 manifestants. La France n’était pourtant pas gouvernée par des startuppers qui jargonnaient société inclusive et autres joyeusetés.
Georges Michel -Boulevard Voltaire