Il nous a fait détester l’an 2000! On pourrait croire que cette époque qu’il exécrait si bien a eu la peau de Philippe Muray. Quelle erreur ! C’est plutôt Muray qui a eu la peau de l’époque à laquelle il avait déclaré une guerre totale.
Le secret est bien gardé. Les pompeux triomphent. Les « cons à roulettes » dévalent, le regard extatique, dans les rues de Paris. Les « mutins de Panurge » défilent en rangs serrés. Les « damnés de l’alter » lynchent à tout va. Les « psittacidés de la gauche dévote » se félicitent d’être si rebelles en ce miroir. Bref, Festivus Festivus galope en liberté en serrant contre son coeur à la fois sec et gluant les mirifiques inventions dont l’écrivain dressait sans relâche le désopilant et désolant inventaire. Dans la course à la régression de l’espèce dont Muray a dévoilé chaque ressort, cette créature burlesque a succédé à Homo festivus – lequel avait déjà flanqué un sacré coup de vieux à l’homme de la Bible et des Lumières – autrement dit à l’homme de l’Histoire, de la différenciation et du conflit. En route pour le futur de l’indistinction et de l’enfance généralisées !
Les lecteurs de Philippe Muray n’ont pas fini de s’amuser – et surtout ses lecteures, aurait-il pu ajouter en éclatant de son inoubliable rire qui semblait retourner vers les profondeurs de son âme après avoir résonné. Ils savent, grâce à lui, que, parmi les crimes de l’époque, le plus impardonnable est son impayable esprit de sérieux. Les bombes à retardement concoctées par Muray ne cessent d’exploser sous les fesses des « petits flics » et des « mouchards du coche de la nouvelle police de la pensée et des moeurs ». Festivus Festivus est nu, Muray l’a foutu à poil. Et il n’est pas près d’aller se rhabiller. La présence de l’écrivain, au-delà de l’absence, témoigne que le désastre n’est pas entièrement consommé. Lui-même n’a jamais totalement exclu que l’humanité puisse faire échouer le plan qu’elle a ourdi pour hâter sa propre disparition.
Les esprits épris de liberté, ceux qui le remerciaient de les aider à vivre, se sentent aujourd’hui un peu plus seuls. Peut-être trouveront-ils quelque consolation dans le fait que les ennemis de Muray se conforment jusqu’à la caricature aux portraits qu’il a faits d’eux. « Réac ! Réac ! Réac ! », psalmodient-ils. Piteux hommage du mensonge à la vérité. Homme des Lumières qui voyait avec colère ces Lumières défigurées, Muray a répondu par avance à tous les humanistes à visage inhumain : « Festivus Festivus est passé maître dans l’art d’accommoder les mots qui restent. Il appelle “conservateur” quiconque tente de limiter ses dégâts et “réactionnaire” celui qui l’envoie gentiment se faire foutre.» Bien joué, cher Muray.