La France gérera-t-elle les Jeux olympiques de 2024 comme elle l’a fait des récents incendies ? Du Vaucluse à la Corse en passant par le Var, plus de 7 200 hectares sont partis en fumée pendant la dernière semaine de juillet marquée par des vents violents ; des dizaines d’habitations ont été détruites, plus d’une dizaine de milliers de personnes ont été évacuées et la faune a durement souffert – à 98 % dans le Luberon (où, rassurez-vous, Jack Lang a été sauvé).
Certes, c’est peu à côté du Portugal où, sur les 100 000 hectares ravagés, 64 personnes ont perdu non pas seulement leur maison mais leur vie. Mais, pour un pays comme le nôtre dont les présidents successifs s’agitent sur les estrades internationales et jouent les donneurs de leçons, c’est beaucoup. Beaucoup trop. Car Eole, même secondé par la sécheresse et la canicule, voire par… les loups (!) dont la présence dans le Haut Var interdirait selon le maire d’Artigues tout débroussaillage, n’est pas le seul responsable des irréversibles dommages subis. Et de ceux à venir puisque le mois d’août a commencé dans les flammes à Istres et près de Grasse.
Un sous-équipement digne du tiers-monde
En cause, d’abord, le dénuement en matière d’équipements. Comment, sur un territoire où chaque été apporte son lot d’incendies, les « contraintes budgétaires » peuvent-elles priver nos 240 000 héroïques pompiers, professionnels ou volontaires (193 000), des armes indispensables pour lutter contre le feu ? La flotte de la sécurité civile n’est en effet composée que de 23 bombardiers d’eau dont les antiques Canadair, pour la moitié régulièrement inutilisables en raison des pannes ou du manque de pièces détachées, de deux Dash-8 également canadiens, rapides mais peu maniables, et de vénérables Trackers, achetés d’occase voilà près de 60 ans à l’US Air Force et dont la capacité n’excède pas 3 300 litres d’eau. S’ajoutent au sol quelques chars contenant chacun 4 000 litres d’eau et, dans le Midi, quatre camions-citernes permettant d’établir une ligne de retardant de 2 000 m de longueur sur une largeur de 12 m, ainsi que trois drones affectés à la surveillance. Dérisoire.
Difficile de ne pas comprendre la rage des officiers qui voient ainsi leurs missions et la vie de leurs hommes mises en péril et celle du Syndicat national du personnel navigant de l’aéronautique civile menaçant de faire grève face à la pénurie de bombardiers d’eau en état de vol. Et l’on comprend aussi, soit dit en passant, la réticence d’Emmanuel Macron à se rendre sur les lieux, lui si friand d’exhibitions sur les théâtres d’opération – tout récemment encore, sur la base aérienne d’Istres, justement, le 20 juillet, en combinaison de pilote. Imaginez qu’un pompier exaspéré, ou un sinistré désespéré, lui intime : « Casse-toi pauv’ con ! »
Et Baïnem flamba, sur l’ordre du FLN
A la faiblesse des moyens répond celle de la riposte judiciaire. A Carros, faubourg de Nice où 500 hectares ont brûlé, Mme le procureur avait évoqué une piste criminelle… avant de rétrograder. Car il en va des pyromanes – qualifiés par euphémisme de « personnes malveillantes » – comme des surineurs djihadistes de France ou d’Allemagne systématiquement affectés, aux dires des Parquets concernés, de « troubles psychiques ». Il faut les plaindre et les rééduquer et non les châtier car ils ont obéi à des « pulsions ».
Encore très jeune, j’ai eu la malchance d’assister à deux incendies qui, tous deux, résultaient non de pulsions mais de la préméditation.
Le premier dévasta le 16 août 1956 la superbe forêt de Baïnem, poumon vert d’Alger où l’on pouvait, en saison, cueillir champignons ou cyclamens. Quelques mois avant la bataille d’Alger, l’ordre de destruction émanait du FLN. Ce que reconnaît implicitement un article sur cette forêt « se dressant majestueusement à près de 300 mètres d’altitude, dominant les villages de Baïnem ville, les Bains romains, la pointe Pescade, les Deux Moulins [où ma famille habitait alors], paradis de sportifs de tout genre, d’artistes peintres, paysagistes, photographes, naturistes, lieu de détente des familles algéroises », paru sur le site Algerimages et dont l’auteur reconnaît la « grande baisse de fréquentation à cause des événements malheureux ayant marqué toute l’Algérie ».
Certains des incendies de cet été résultent-ils aussi d’événements malheureux, le djihad par exemple ?Yann Piat et le mont des Oiseaux : omerta, crapulerie et politique
Le second incendie survint en août 1962 au mont des Oiseaux, entre les communes d’Hyères et de Carqueiranne (transcription provençale du grec Kerkyra, nom de la capitale de Corfou), dont les habitants furent évacués en catastrophe vers le port. A leur retour, la colline verdoyante – et frappée d’un arrêté d’inconstructibilité – n’était plus que pentes noircies d’où toute vie avait disparu.
Mais dix ans plus tard, la végétation étant encore embryonnaire, l’arrêté fut levé et un miracle se produisit, avec la sortie de terre d’une luxueuse et « immense copropriété dont les maisons avec piscine surplombent les eaux bleues et les sapins de la presqu’île de Giens », s’extasiait le 9 août 2009 Le Figaro. Qui se gardait bien d’évoquer la mémoire de l’ancien député FN du Var, Yann Piat, ralliée à l’UDF après 1988 et abattue le 25 février 1994 par des tueurs à moto dans un virage du mont des Oiseaux, où elle possédait une villa.
Peu avant son assassinat, Yann Piat, surnommée Yann d’Arc quand elle était au Front pour sa lutte contre les mafias financières toutes-puissantes sur la Côte, avait écrit au procureur de la République et laissé une lettre chez son notaire. Dans les deux missives étaient mis en cause des chefs du Parti républicain ainsi que le gangster marseillais Fargette (bientôt assassiné lui aussi) comme respectivement auteurs et profiteurs de colossales manipulations immobilières et organisateur de leurs basses œuvres.
Le procès des tueurs de Yann Piat commença le 4 mai 1998, mais ne furent poursuivis que des seconds couteaux murés dans le silence, à l’instar du voyou Lucien Ferri admettant avoir participé à « des réunions préparatoires avec les commanditaires » de l’assassinat, parmi lesquels « des personnalités politiques » ; mais à la question du président des assises : « Ces politiques sont-ils si puissants que vous les redoutiez ? », il répondit : « Ma foi oui, autrement je vous dirais leurs noms. » (dialogue cité dans le livre Affaires non classées, éd. First, 2004).
Les exécutants furent lourdement condamnés mais on ne connaît donc toujours pas officiellement le nom de leurs donneurs d’ordres. On ne sait pas davantage si Yann Piat enquêtait sur les origines du providentiel incendie ayant permis à des promoteurs de réaliser l’opération immobilière du mont des Oiseaux. Mais, le 26 avril 1987, dans l’avion qui nous emmenait à La Trinité-sur-Mer d’où Jean-Marie Le Pen lança sa candidature à la présidentielle de 1988, je lui avais parlé de la nuit d’horreur de 1962 et elle avait pris des notes.
Sur les collines de Carros, de Bormes-les-Mimosas et de la Croix-Valmer jusqu’ici à peu près préservées, verra-t-on dans dix ans surgir, comme naguère au mont des Oiseaux, de somptueuses villas offrant une vue imprenable ? Grâce à des incendiaires stipendiés mais restés inconnus.