Les gens de goût et tous ceux pour qui le nom de Fragonard ne se réduit pas à une marque prestigieuse de parfums connaissent la vieille ville de Grasse, ses hôtels particuliers et ses cinq musées, dédiés au peintre Jean-Honoré Fragonard, à l’alchimie du parfum, aux richesses des faïences locales, des petits-maîtres provençaux ou à l’histoire du costume et du bijou provençal. Autant d’éléments constitutifs de cette civilisation méditerranéenne qui, pétrie de culture grecque et latine, irrigue une région malheureusement altérée aujourd’hui par l’invasion migratoire maghrébine et maintenant africaine.
Mare nostrum
Comme l’écrivait Pierre Drieu la Rochelle dans Le Jeune Européen : « La Méditerranée n’a pas été une école de restriction et de rétention pour Puget, pour Fragonard, pour Mistral, pour Maurras. » Une évocation qui montre comme une sorte de filiation entre le peintre de la fête et du badinage et le maître de Martigues, tout aussi romain et provençal que ce fils de gantier grassois qui renonça vite au notariat pour devenir, à 14 ans, l’apprenti de Boucher et partir pour Rome parfaire son art. Ils étaient tous les deux les héritiers de ce monde qui, d’Arles à Grasse en passant par Orange ou Vaison-la-Romaine, a transmis tout un patrimoine fait de temples, de théâtres antiques, de sarcophages, mais aussi d’églises romanes ou de cathédrales, comme Notre-Dame du Puy à Grasse qui, transformée en magasin à fourrage sous la Révolution, subit les assauts du feu pendant plus de trois jours, mais est toujours debout en 2017.
Une rétrospective inédite
En 1997, Hélène Costa, l’épouse du petit-fils du fondateur de la maison Fragonard, à la tête d’une merveilleuse collection de costumes provençaux hérités d’une arrière-grand-tante, ouvrait un musée dans l’hôtel particulier Clapier-Cabris qui abrita notamment Louise de Mirabeau, mais également un tribunal révolutionnaire après 1789. Costumes d’Arles, jupes piquées, caracos, casaquins, corsets, capes, fichus imprimés, droulets – casaquins à longue basque flottante – et autres coiffes sont autant de pièces rares présentées sur des mannequins disposés à l’intérieur de vitrines en plexiglas afin de protéger des tissus qui ont plus de deux siècles d’existence. Même chose pour la collection de croix arlésiennes richement ornées, les boucles d’oreilles ou les colliers qui attestent d’un riche savoir-faire local.
Et le peintre Antoine Raspal dans tout cela ? Il est l’invité estival des musées de la maison Fragonard, précisément parce que les tableaux de ce peintre, né à Arles en 1738, retranscrivent les tissus de l’époque et représentent l’élégance provençale de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il restitue également à la perfection les éléments constitutifs des croix provençales, qu’il s’agisse du modèle Maintenon ou de la croix maltaise.
Fils d’un couple de commerçants et petit-fils du sculpteur arlésien Pons Dedieu, il se forme à l’Académie royale de peinture et de sculpture à Paris où il est primé en 1764. Revenu à Arles, il croque la bonne société de la ville et puise son inspiration dans l’atelier de ses sœurs, comme en témoigne un de ses chefs-d’œuvre, précisément intitulé L’Atelier de couture. Ce tableau présente des couturières à l’ouvrage, avec en arrière-plan des tenues d’Arlésiennes visiblement terminées. Exposés temporairement à Grasse, ses tableaux et ses dessins n’avaient jamais quitté Arles, le musée Réattu, Aix-en-Provence ou des collections privées.
Pour Clément Trouche, commissaire de l’exposition, on reconnaît dans les tableaux de Raspal « la maille, le modèle exact de la dentelle ou des textiles utilisés dans la composition de la tenue présentée ». Les peintures et les dessins exposés permettent d’établir un véritable dialogue avec les tissus, les dentelles et toutes les pièces de textile offertes à l’œil du visiteur. Et notamment de belles indiennes en percale imprimées de motifs de fleurs stylisées ou ces chapeaux qui coiffaient les têtes des élégantes ou des simples paysannes. Cette exposition retrace également les différents univers du peintre : les scènes de genre et les portraits de la bonne société arlésienne, l’art religieux et le goût pour l’Antiquité très présent à cette période. Autant de témoignages d’un art de vivre à la française avec ses rituels, ses couleurs et ses belles matières. Les parfums sont tout proches. La rose et le jasmin vous attendent dans les distilleries voisines Une absente, une seule : la musique. Dommage. Un petit clavecin aurait fait merveille, avec Couperin, Lulli ou Rameau comme accompagnateurs de la visite.
« Antoine Raspal, peintre de l’élégance provençale ». Jusqu’au 17 septembre 2017, musée provençal du costume et du bijou.
Musée Jean-Honoré Fragonard, Grasse
Photo en tête : Autoportrait dans Le Peintre et sa famille, d’Antoine Raspal.