Alors que le biopic qui lui est consacré sort en salle, retour sur la vie de cette brillante journaliste italienne, devenue à la fin de sa vie une polémiste critique de l’islam très controversée. Oriana Fallaci naît à Florence le 29 juin 1929 dans une Europe déchirée par le fascisme. L’Italie est aux mains de Mussolini. Les parents d’Oriana, activistes politiques d’origine modeste, l’élèveront dans un esprit frondeur. La famille se bat contre le Duce et l’Allemagne nazie. À 14 ans, elle entre dans la résistance. À 17 ans, cette lectrice assidue de Jack london devient correspondante pour le journal Il Mattino dell’Italia centrale. Son oncle Bruno, lui aussi du sérail, lui donne un conseil simple : « N’ennuie jamais ton lecteur ». Oriana mise alors sur son instinct et son impertinence.
Journaliste people puis reporter de guerre
D’abord, les paillettes. Oriana commence sa carrière journalistique en couvrant les mondanités romaines, interviewe Mastroianni et Fellini. Sophia Loren devient l’une de ses meilleures amies. Puis l’Italienne prend du grade dans la galaxie people et part vers le monde fou de Hollywood pour bavarder avec Kim Novak, Jayne Mansfield et Orson Welles. Oriana a toujours le mot qui fait plaisir. Si bien qu’elle dira de Dali qu’il est un « très grand ami de Franco et très antipathique ».
En 1960, c’est le tournant de sa carrière. Elle part en reportage en Orient pour une série sur la condition féminine. L’enfant de la résistance embrasse à nouveau la guerre en couvrant les conflits de la deuxième moitié du XXe siècle. Viêtnam, guerre indo-pakistanaise, conflits en Amérique du Sud… À Mexico City, elle sera touchée de trois balles dans le dos durant les manifestations des étudiants révoltés de 1968. Time Magazine publie les reportages de cette petite femme de 1,56 mètre et de 45 kilos. Elle devient l’un des plus grands reporters de son temps, et sa signature, une référence internationale. Elle est par ailleurs l’une des rares femmes à s’être introduite dans le milieu très viril du journalisme.
L’intervieweuse des puissants
Pugnace, Oriana Fallaci ne connaît pas la gêne. Elle est une intervieweuse hors pair, tranchante. Chaque entretien est comme un combat, au cours duquel elle veut percer à jour sa victime. Elle fera reconnaître à Henry Kissinger que la guerre du Viêtnam, qu’elle avait couverte, fut « inutile ». L’ancien secrétaire d’État de Nixon se rappellera ensuite de cet entretien comme de « l’échange le plus désastreux que j’ai jamais eu avec un membre de la presse ». Elle passe les grands de ce monde, du dalaï-lama à Golda Meir, en passant par Indira Gandhi et Lech Walesa, sous le feu de ses questions. Son franc-parler fait des étincelles. Elle incite Ali Bhutto à raconter l’épisode de son premier mariage, forcé, alors qu’il avait 13 ans. Dit de Kadhafi qu’il est « cliniquement stupide ». Traite le couple royal espagnol d’« idiots » et Yasser Arafat d’« inculte ».
Puis il y aura cette interview tumultueuse avec l’ayatollah Khomeini, interview qu’elle a attendue pendant dix jours et pendant laquelle elle interroge le chef de la Révolution iranienne sur les motivations qui l’ont conduit à obliger toutes les femmes de son pays à se voiler. La conversation tourne vinaigre. Oriana Fallaci lui demande comment il est possible de nager avec un tchador. « Nos coutumes ne vous regardent pas, réplique Khomeini. Si vous n’aimez pas le vêtement islamique, vous n’êtes pas obligée de le porter. Parce qu’il est fait avant tout pour les jeunes femmes correctes. » « Très bien, puisque vous le dites, je vais enlever de suite cet habit médiéval stupide », lui rétorque la journaliste en se dévoilant. Plus tard, elle affirmera que l’ayatollah fut « le vieil homme le plus charmant qu’elle ait jamais rencontré », le comparant à la statue de Moïse façonnée par Michel-Ange.
Oriana Fallaci met à nu l’autre, tout autant qu’elle se met en scène en dézingueuse irrévérencieuse des grandes figures mondiales. « Elle abordait en particulier ses interviewés célèbres, chefs d’État, d’empire, de guerre ou de religion, comme un général monte à l’assaut de citadelles à abattre, se considérant comme leur égale, non par la pensée mais au sabre. Il va de soi qu’ainsi positionnée devant son miroir autant que devant ses interlocuteurs, Oriana Fallaci n’a pas fait bouger d’un pouce la Chine de Deng Xiaoping, la Libye de Khadafi ou l’Iran de Khomeyni », écrivait Élisabeth Schemla dans Le Figaro le 8 juin 2002.
L’auteur de romans
Elle tourne le dos au journalisme à la fin des années 1970 et se consacre à l’écriture de romans, qui lui vaudront d’être qualifiée de féministe, même si ses positions restent souvent ambiguës. Elle avait déjà écrit en 1962 Pénélope à la guerre, sur une journaliste qui résiste aux demandes de son petit ami pour qu’elle reste femme au foyer. En 1975 sort Lettre à un enfant jamais né, qui traite de l’avortement, de la maternité et de la famille. En 1981 paraît Un homme, livre hommage à son amant, le poète grec et activiste Aléxandros Panagoulis, mort dans un accident de voiture qu’elle suspecte avoir été orchestré par la dictature des Colonels. En 1992, elle publie Inchallah, un roman sur la guerre civile au Liban. En parallèle, elle enseigne dans les prestigieuses universités de Yale, d’Harvard et de Columbia. L’Italienne se retire à New York dans le très chic quartier de l’Upper East Side et reste silencieuse pendant dix ans.
Une des premiers intellectuels islamophobes
Le 11 septembre 2001, Oriana Fallaci est toujours à New York quand les deux avions détournés par des terroristes d’Al-Qaïda s’écrasent sur les tours jumelles du World Trade Center. Son ancien patron, directeur du journal Corriere della Sera, l’appelle. Il veut connaître l’opinion de l’ancienne journaliste de guerre. Le 29 septembre paraît une tribune d’Oriana Fallaci qui fera grand bruit. Elle devient un essai intitulé La Rage et l’Orgueil, véritable brûlot anti-islam, qui regorge d’amalgames et de propos virulents, sans nuance. Ce sera aussi la meilleure vente de l’année 2002 en Italie, avec plus d’un million d’exemplaires écoulés. On y lit que neuf imams sur dix seraient « des guides spirituels du terrorisme », que « les fils d’Allah (…) sont des messieurs qui, au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, passent leur temps avec le derrière en l’air, à prier cinq fois par jour », mais aussi que les musulmans « se multiplient comme des rats » et menacent les valeurs démocratiques de l’Occident. En France, Gallimard et Grasset refusent de publier l’ouvrage. Les Éditions Plon signent. Le livre paraît en France en mai 2002. Le vent se lève. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples réclame son interdiction au tribunal de grande instance de Paris. La demande est rejetée. Les éditeurs plaident la liberté d’expression. La journaliste et écrivain est devenue polémiste. Ses idées inspirent Marine Le Pen et Geert Wilders.
En 2004, elle enfonce le clou avec un deuxième essai, La Force de la raison, dans lequel elle s’auto-interviewe, se désolant que l’Europe soit « devenue chaque jour davantage une colonie de l’islam », « transformée en Eurabie ». Cette fois-ci, les Éditions Plon passent la main, et celles du Rocher récoltent le scandale. Libération parle d’elle comme de cette « vieille folle d’Oriana Fallaci, espèce de Bardot transalpine, comme elle obsédée par la pureté ethnique du continent ». Elle fustige la bienveillance des Nations unies, de l’Union européenne et du clergé, qui prône l’aide aux clandestins. Islam modéré, islam intégriste, peu importe. Pour la polémiste, il n’existe qu’un seul islam et il faut le stopper. En 2006, elle affirme dans le journal Corriere della Sera : « Cela fait quatre ans que je parle du nazisme islamique, de la guerre à l’Occident, du culte de la mort, du suicide de l’Europe. Une Europe qui n’est plus l’Europe mais l’Eurabie, qui, avec sa mollesse, son inertie, sa cécité et son asservissement à l’ennemi, est en train de creuser sa propre tombe. » Le 30 mai 2006, en réaction à la construction d’une mosquée dans sa Toscane natale, elle affirmait à un journaliste du New Yorker être « prête à prendre de l’explosif pour la faire sauter ».
Une icône italienne
Oriana Fallaci finit sa vie en se drapant dans les paradoxes. La fervente résistance anti-fasciste et laïque devient une extrémiste xénophobe et religieuse. Soudain, elle se déclare « athée chrétienne », est invitée en 2005 par le Pape Benoît XVI, qu’elle admirait pour sa défense des valeurs chrétiennes, au palais pontifical de Castel Gandolfo. Elle lègue son patrimoine personnel à l’université pontificale de Latran. Vers la fin de sa vie, celle qu’on disait féministe se serait opposée à l’avortement ainsi qu’à l’ouverture du mariage aux homosexuels. Elle meurt dans la nuit du 14 au 15 septembre 2006 à Florence, des suites d’un cancer, à 77 ans.
En Italie, elle reste une icône incontestable. À sa mort, le Corriere della Sera lui consacre huit pages. En mars 2015, une journaliste de l’édition italienne du magazine ELLE, Cristina De Stefano, achève une biographie à sa gloire baptisée sans surprise Oriana, une femme libre. Il faut désormais ajouter à cette entreprise de réhabilitation, le biopic italien de Marc Turco, Oriana Fallaci, qui sort demain en salle et dont la bande-annonce ressemble à un film de propagande. Le réalisateur l’assure : « Raconter l’histoire d’Oriana Fallaci, c’est comme raconter l’histoire du XXe siècle. »
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