Oman, la Suisse du Moyen-Orient ?

 

Contrairement aux autres pétromonarchies du Golfe, le sultanat d’Oman n’a pas intégré la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite contre les rebelles houthis au Yémen. Un véritable choix politique en parfaite conformité avec la position de neutralité que souhaite occuper le sultanat. L’apparente neutralité adoptée par Oman dans le conflit au Yémen n’est pas une première dans l’histoire du sultanat. Lors de la première guerre du Golfe opposant l’Iran à l’Irak (1980-1988), le sultanat d’Oman s’était déjà bien gardé de prendre position. Alors que l’Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn avaient pris le parti de l’Irak, le sultanat d’Oman avait choisi, quant à lui, d’adopter une attitude neutre vis-à-vis des deux protagonistes. Le sultan Qabous s’était même prononcé à l’époque pour une levée de l’embargo et le retour de l’Irak dans le giron de la diplomatie golfienne.
Dès son accession au trône, en 1970, le sultan Qabous avait donné le « la » de la diplomatie d’Oman : « Pas de mimétisme, pas de saut dans l’inconnu, mais pragmatisme et empirisme (…). Indépendance et souveraineté, voilà les clefs de la politique étrangère d’Oman. » Tirant les conséquences de l’occupation britannique et de l’influence des puissances extérieures, le sultan a, à de multiples reprises, affirmé qu’il ne souhaitait pas qu’Oman soit impliqué « dans les conflits entre grandes puissances » ou encore qu’il soit « mis au service des intérêts d’autres pays ».

Bis repetita ?
Aujourd’hui, Oman est la seule pétromonarchie du Golfe à ne pas être engagée aux côtés de Riyad dans la coalition arabe contre les rebelles houthis au Yémen. Hasni Abadi, politologue, spécialiste du monde arabe et directeur du Cernam, précise qu’« Oman ne s’est pas opposé à la coalition menée par Riyad mais a décidé de ne pas en faire partie pour préserver l’harmonie entre les communautés ibadite et sunnite, et son rôle en tant que courtier de la paix », le sultan craignant la présence de dommages collatéraux. Trigane Yégavian, spécialiste du Moyen-Orient pour la Revue Conflits, justifie l’attitude d’Oman par le fait que « la sécurité du pays est une priorité absolue ». La vision stratégique de la politique diplomatique d’Oman s’explique donc par la présence d’intérêts internes et externes. En dehors de la crainte d’une déstabilisation du pays liée notamment à des difficultés d’ordre communautaire, la proximité du sultanat avec l’Arabie saoudite, le Yémen et l’Iran permet d’envisager les contours de sa politique étrangère. Oman dispose de frontières communes avec l’Arabie saoudite et le Yémen, et partage avec l’Iran le détroit d’Ormuz. Aussi, pour M. Yégavian, « la politique étrangère du petit État obéit traditionnellement à une logique de non-aligné, de non-engagement dans les conflits régionaux ». Déjà, en 2011, Oman « n’avait pas souhaité envoyer de troupes à Bahreïn pour mater la contestation populaire ».

Liens économiques étroits
La « non-participation d’Oman à l’offensive contre le Yémen s’inscrit dans cette même logique d’indépendance », ajoute-t-il. Dans le cadre de la coalition arabe, le sultanat d’Oman poursuit « sa propre voie autonome au risque de froisser Riyad ».
Vis-à-vis du Yémen, Oman semble ainsi poursuivre la vision stratégique définie par le sultan Qabous en 2002 lors de son discours devant l’assemblée annuelle d’Oman. Ce dernier insistait sur la présence des « liens d’amitié qui unissent Oman et le Yémen ». Aussi, le sultan s’est-il positionné contre la mise en place d’une intervention armée soutenant la politique définie par l’Onu, précisant que « les négociations sont toujours la seule option pour résoudre la crise yéménite » et invitant ainsi « toutes les parties et tous les États membres à éviter de prendre des mesures qui nuiraient à l’unité, la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale du Yémen ».

Derrière cette volonté affichée d’apaiser les tensions au sein du Moyen-Orient, la stabilisation des équilibres régionaux permettrait à Oman de satisfaire ses intérêts économiques et stratégiques. En ne prenant pas part à la coalition internationale, le sultanat d’Oman ménage ainsi l’Iran avec lequel il a développé une coopération économique. Si « Oman considère l’Iran comme une menace stratégique pour la région », il préfère « gérer la menace en favorisant des relations de travail solides avec Téhéran, illustrées par la mise en œuvre de liens économiques étroits », selon Thomas Flichy, spécialiste de la question iranienne. L’Iran et Oman partagent en cogestion le détroit d’Ormuz qui équivaut à 40 % des exportations mondiales de pétrole. Oman accroît ainsi sa coopération militaire avec l’Iran pour protéger l’accès au détroit d’Ormuz. À Oman, en mars 2014, « le président iranien Hassan Rohani aurait conclu un accord de coopération qui prévoit la livraison par l’Iran de 10 milliards de m3 de gaz durant 25 ans », selon Trigane Yégavian. Ce projet se concrétiserait par la « construction d’un gazoduc reliant les gisements iraniens au port de Sohar ainsi que la construction de plusieurs plateformes pétrochimiques ».

Liens sécuritaires
En dehors de l’aspect économique, Oman – membre du Conseil de coopération du Golfe – souhaite développer des « liens sécuritaires allant de concert avec les pays riverains du golfe arabo-persique », selon Thomas Flichy. Le sultanat affiche la volonté de « neutraliser les menaces pesant sur la stabilité régionale », selon M. Yégavian, en se posant notamment en « interlocuteur privilégié entre les États-Unis et l’Iran ».
Jouant le rôle d’entremetteur et de pacificateur des relations sur la scène internationale, Oman a déployé avec brio les contours de sa politique diplomatique en ce qui concerne le nucléaire iranien. À l’initiative des pourparlers secrets entre Américains et Iraniens, l’accord sur le nucléaire iranien conclu le 14 juillet 2015 induit pour le sultanat « des retombées positives, un rayonnement international », selon M. Yégavian.
Mais la spécificité de la politique d’Oman est principalement liée à la personnalité du sultan Qabous. Ce dernier, âgé de 76 ans, souffre depuis quelques mois, selon son entourage, d’une maladie cancéreuse qui pourrait lui être fatale. Son successeur assumera-t-il alors les mêmes choix politiques ?

La guerre du Dhofar en bref…

En 1964, une rébellion séparatiste éclate au sein de la province du Dhofar, région située au sud du sultanat d’Oman, à la frontière avec le Yémen. Cette région réputée pour son extrême pauvreté décide de contrer le pouvoir du souverain de l’époque le sultan Said réputé pour son despotisme. La rébellion est soutenue à l’époque par le Yémen du Sud, l’Égypte, et par d’autres pays à consonance marxiste. Le sultan, quant à lui, bénéficie du soutien des Britanniques et de l’Iran. Toutefois, malgré ce soutien, les Britanniques diligentent un coup d’État qui placera à la tête du pays le sultan Qabous, connu pour sa modernité et pour sa volonté d’unifier le territoire et la population omanaise. La fin de la rébellion verra le jour en 1976 suite à la défaite des rebelles montagnards. Néanmoins, elle ne signifie pas la reprise des relations diplomatiques entre Oman et le Yémen. En effet, le sultanat reproche notamment au pays yéménite d’avoir offert, lors de la guerre du Dhofar, hospitalité et refuge, soutien logistique et camp d’entraînement aux belligérants. Outre cet argument de tension, le tracé de la frontière entre ces deux États constituait également un élément de discorde. En 1982, les pays du Moyen-Orient interviendront pour rétablir le dialogue entre ces deux nations. L’amélioration des relations sera impulsée notamment par l’Égypte, le Koweït et les Émirats arabes unis. En 1983, les relations diplomatiques entre le Yémen et Oman sont enfin rétablies.

Oman au secours des réfugiés yéménites

Le sultanat d’Oman partage à l’est une frontière commune et redéfinie, suite aux négociations de 1992 avec le Yémen. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR), le 14 juillet dernier, 51 000 personnes ont fui le Yémen vers Djibouti, la Somalie, l’Arabie saoudite ou encore le sultanat d’Oman, qui en compterait selon les estimations environ 25 000. Le profil des réfugiés yéménites semble difficile à établir par manque d’informations dans la région. A priori, selon l’enquête menée par le HCR, les réfugiés seraient de nationalités diverses et variées, égyptiens, indonésiens, bangladais, occidentaux et yéménites. Face à l’instabilité grandissante au sein du pays yéménite, le sultanat d’Oman a décidé d’ouvrir le long de sa frontière deux points de passage jusqu’alors restés confidentiels. Discret concernant sa politique étrangère, humanitaire et sécuritaire, le sultanat d’Oman entend toutefois renforcer les mesures de contrôle sur les points de passage délimités. Les autorités craignent en effet que l’afflux des réfugiés soit un facteur de déstabilisation de la politique intérieure du sultanat, eu égard aux conflits liés à la région du Dhofar dans les années 1970.

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