Par Marie Piloquet
Le 2 août 1914, Charles Péguy, lieutenant de réserve, fait ses adieux à sa femme, Charlotte, enceinte de trois mois, et ses trois enfants. Logeant chez sa grande amie Geneviève Favre, il consacre ses deux derniers jours à ses connaissances parisiennes, amis et adversaires, de Bergson à Alain-Fournier – qui n’était pas chez lui –, de Léon Blum à Lucien Herr qui lui gardera ses rancœurs…
Entre son départ du foyer de Bourg-la-Reine jusqu’au jour de sa mort, un petit mois va s’écouler. Un pauvre mois, quand la guerre en durera près de cinquante. Le 5 septembre 1914, le poète tombe devant Villeroy, à la tête de sa compagnie, d’une balle en plein front, contre cette Allemagne qui lui avait ravi son propre père en 1870.
« Nous savons que nous ne serons pas petits » (L’Argent suite)
Le long du récit des mouvements militaires, Jean-Pierre Rioux se penche sur toutes les retombées de ce destin foudroyant. Ce qu’il signifie, en amont, dans l’œuvre de l’écrivain. Ce qu’il a pu signifier pour tous ces amis, disciples, comparses, écrivains, qui dès l’annonce de sa mort par Maurice Barrès, le 17 septembre dans L’Echo de Paris, désirèrent chacun un peu en hériter.
Mais comme Péguy cumulait les paradoxes – qui n’en étaient pas toujours –, lui, le catholique intérieur qui refusait le clergé (il se rendit pour la première fois à la messe sur le front, à l’Assomption 1914), lui, le socialiste patriote qui criait tout à la fois « Montjoie Saint-Denis et vive la République ! », lui, le pèlerin de Chartres et le dreyfusard revendiqué, son panégyrique ne fut pas le même pour tous.
Barrès l’avait néanmoins prédit : « La Renaissance française tirera partie de l’œuvre de Péguy, authentifiée par le sacrifice. » Jusque-là banni des manuels scolaires, son aura paraît effectivement renaître, et le nom de « maître » resurgit. Mais, alors, sous quel étendard ?
• Jean-Pierre Rioux, La mort du lieutenant Péguy, Tallandier.
