Le courrier est officiel, il provient du rectorat de l’académie de Bordeaux, sous l’autorité du ministère de l’Éducation nationale, comme l’indique le papier en-tête. Signé par le « Directeur des Examens et Concours », rien que ça, il s’adresse aux directeurs des établissements catholiques « désignés comme centre de correction des écrits du diplôme national du Brevet », les 3 et 4 juillet, et dispense des « conseils » très clairs : « il apparaît souhaitable, dans la mesure du possible, et pendant la durée des corrections, d’ôter ou de masquer tout signe religieux ostensible dans les locaux accueillant les enseignants convoqués pour corriger le DNB ».
On hésite : cela procède de la note interne en service hospitalier « pour une bonne asepsie, prière de désinfecter avant utilisation », ou de la lettre glissée par les parents dans le carnet de correspondance pour signaler une allergie : « merci de bannir tout aliment susceptible de contenir des traces de fruits à coques ».
Les profs du public désignés pour passer la tranchée et aller corriger avec leur casque lourd derrière les lignes du privé, auraient-ils peur de la contamination – la foi serait-elle contagieuse, l’exposition prolongée à un crucifix, comme aux UV, dangereuse pour la santé ? – , ou de l’urticaire géant, voire du choc anaphylactique devant une Vierge sulpicienne ?
On imagine la perplexité des directeurs concernés : que faire ? Déboulonner la plaque « enseignement catholique » posée depuis des temps immémoriaux sur la porte ? Décrocher les icônes ? Voiler les statues ? Gratter fébrilement à la paille de fer, jusqu’à faire disparaître, sur le frontispice, la mention « saint(e)» devant Étienne ou Monique, comme autrefois, sur les arcs de Triomphe, celle des empereurs romains ? Et tiens, d’ailleurs, pour le col du même nom, priera-t-on l’aumônier de le cacher discrètement derrière un passe-montagne opportun quoiqu’un peu décalé eu égard à la canicule sévissant dans le Sud-Ouest ?
Un solide chef d’établissement dans un courrier sans ambiguïté, bien que dénué, comme il le dit, de « toute animosité », a tranché, et répondu avec fermeté : « Je ne toucherai à rien ! » C’est le « non possumus » des premiers chrétiens. Et le non volumus, aussi, pour être franc, parce que le grand n’importe quoi, voyez-vous, ça va bien : « Quelle unité nationale construire avec ces susceptibilités phobiques et anachroniques ? » s’interroge-t-il dans cette lettre dont nous avons eu connaissance. Comment lui donner tort ?
Ce serait donc cela, la France ? certains auraient le droit d’aller s’exhiber avec fierté dans l’espace public, par la marche du même nom, imposant leurs signes ostentatoires avec une provocation agressive à des passants n’ayant rien demandé, et d’autres devraient se dissimuler avec honte jusque chez eux, dans l’espace privé, parce que ce qu’ils sont défriserait certains invités ?
Alors que l’école publique, face à la montée de l’islam, est incapable de faire respecter la loi chez elle – « Laïcité à l’école : les contestations sont de plus en plus nombreuses », titrait 20 minutes le 12 juin dernier – elle prétendrait aller l’appliquer dans le privé, là où s’afficher catholique, est jusqu’à preuve du contraire, parfaitement autorisé ?
Les profs survivront-ils à cette immersion de l’extrême, à ce Koh-lanta dans un bénitier ? Bénéficieront-ils d’une prime de risque ? D’un suivi psychologique ? D’un témoignage haletant dans L’Obs : « J’ai corrigé des copies de 3èmeB dans une école privée » ? Tout permet de le supposer, car heureusement pour le ministère – qui dit-on, peine à recruter – le ridicule ne tue pas.
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire