Que des ministres soient évalués n’a rien de choquant : ce sont, étymologiquement, des serviteurs, chargés de mettre en œuvre la politique définie par le gouvernement. Encore faut-il savoir ce qu’on évalue. Quant à la médiatisation de ces évaluations, elle semble signifier que le Premier ministre prend à témoin l’opinion que les ministres ne sont pas dispensés d’efforts. Mais n’est-ce pas un moyen d’éluder une évaluation du bien-fondé de la politique gouvernementale ?
Quand Édouard Philippe déclare que « quand on est ministre, et quand on a un travail prenant d’ailleurs quel qu’il soit, on a le nez dans le guidon », il donne une image quelque peu dépréciative de ses ministres. Est-il nécessaire d’annoncer qu’ils vont pouvoir « lever le nez » et s’interroger sur ce « qui se passe bien » ou ce « qui se passe pas bien » ? Traiter les ministres comme de simples exécutants n’est guère valorisant ni motivant.
L’opinion juge moins les performances individuelles des ministres que la politique qu’ils mènent. En les évaluant, Emmanuel Macron, par l’intermédiaire de son Premier ministre, se donne la possibilité de sanctionner ceux qui ne lui donnent pas satisfaction. Bien sûr, certains ministres sont médiocres, mais ce ne sont pas obligatoirement ceux qui seront le plus réprimandés. Ceux qui risquent de l’être, ce sont ceux qui apportent une touche personnelle à leur feuille de route, fût-elle justifiée.
Car le grand défaut de l’évaluation, c’est de conduire à la servilité, qui interdit toute initiative et toute entorse à la politique décidée par le grand maître de l’Élysée. À l’exception de ministres qui ont à la fois des idées et de la personnalité – ils ne sont pas nombreux au gouvernement –, la plupart ont été choisis pour leurs compétences techniques ou leur inclination naturelle à donner toujours raison à leur maître. Voyez comme le ministre des Comptes publics apparaît toujours devancer les désirs de celui qui l’a nommé ! Voyez comme le porte-parole du gouvernement, tel un valet de pied, est aux petits soins de ses supérieurs !
On dit que les professeurs sont hostiles à l’évaluation au mérite. Ce qui est faux. Tout dépend de ce qu’on entend par mérite. Sera-ce la soumission aux instructions de sa hiérarchie administrative et pédagogique, parfois aberrantes, changeantes toujours en fonction des ministres ? Ou sa capacité à faire de la publicité pour son établissement en se consacrant plus à l’animation de clubs et à l’organisation de voyages qu’à son enseignement ? À se faire le porte-voix complaisant de son proviseur ou de son inspecteur dans l’espoir d’une promotion plus rapide ?
Il me semble – mais peut-être est-ce une vision réactionnaire ? – qu’un professeur devrait être avant tout évalué sur ses compétences à transmettre le savoir, à faire progresser l’ensemble de ses élèves tout en permettant aux meilleurs de se distinguer. Ce qui suppose un recrutement qui sélectionne des candidats qui dominent leur discipline, car seule la maîtrise du savoir, associée à des qualités de rigueur et de clarté, permet de se mettre à la portée des élèves qu’on instruit. Tout ce qui s’apparente aux pratiques de lèche-bottes devrait être proscrit.
Il en est de même pour les ministres. La culture de l’évaluation à laquelle ils se prêtent, bon gré mal gré, ne modifiera en rien le jugement que portent les Français sur leur action. Elle renforcera la mainmise des maîtres sur leurs serviteurs mais n’améliorera en rien la politique du gouvernement. C’est la valeur de cette politique, son adéquation à l’intérêt commun qu’il conviendrait d’évaluer. Seuls les Français sont habilités à le faire : chaque fois qu’ils en auront l’occasion et, pour commencer, aux prochaines élections européennes. Ils n’y manqueront pas !
Philippe Kerlouan – Boulevard voltaire