Qu’il est bien improbable, de nos jours, de sortir d’une salle de cinéma sans avoir cette étrange impression, cette sensation désagréable, ce doute légitime que la comédie dite française qu’on vient de subsidier de nos deniers n’a été qu’un long, un très long sermon, un prêche en filigrane, une homélie subliminale dopée à la moraline, une fatwa, au sein des salles obscures, sur le retour des heures les plus sombres.
On est encore traumatisé du gélatineux Intouchables, des remontrances de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, du tout frais et néanmoins insipide Abdel et la comtesse ou, pire, d’Une saison en France sur l’accueil des clandestins ; j’en passe, et des navets. À vrai dire, après avoir vu une comédie française, fût-elle romantique, dramatique ou une comédie tout court, on se sent souvent victime consentante d’une certaine forme de démagogie maquillée. Une comédie française contemporaine se doit toujours d’être culpabilisante, subtilement ou ouvertement. Bourvil, Louis de Funès, Bernard Blier et les autres, à six pieds sous terre, en sont actuellement à une moyenne de 6.000 tours par minute.
Mon Ket… ma bataille, de et avec François Damiens, échappe heureusement à cette malsaine et chronique intoxication. « Ket », en bruxellois, c’est mon gamin, le petit gars qui me ressemble, ma fierté. Premier film de Damiens, acteur qui ne se « prend pas la tête », mariné avec le réalisateur Benoît Mariage durant deux ans, lui-même ancien complice d’un autre Benoît – également déjanté, Poelvoorde – dans le film culte Ça s’est passé près de chez vous. Dans Mon Ket, en passe de le devenir, Damiens reprend le rôle du personnage qui a lancé sa carrière dans le plat pays ; François l’embrouille, parfaite andouille qui piège les gens ordinaires en caméra cachée.
Mon Ket a été entièrement tourné en caméra cachée. Un an et demi de tournage, 650 heures de pellicule, 300 personnes piégées, 25 retenues pour le film et une histoire tournée chronologiquement sur un père en cavale qui veut donner à son fils ce que lui-même n’a pas reçu : de l’amour et du temps. François Damiens, rendu méconnaissable, en maître de l’improvisation provoque tout au long du film la réaction sincère de gens vrais, suscite leur émotion, titille leur spontanéité, dans un véritable moment de partage subversif, sans jamais les tourner en dérision.
Une comédie d’anthologie, attachante avec des gens ordinaires : « Ces personnes piégées ne jouent pas, et parce qu’elles ne jouent pas, elles sont plus naturelles et plus convaincantes que les meilleurs acteurs du monde. » Loin de la propagande engagée des socialos Dardenne, multirécidivistes à Cannes et toujours en liberté, un film sur un beauf qui ne prend pas ses spectateurs pour des beaufs, des ignorants, en opposition à une certaine élite médiatique, autoproclamée culturelle, convaincue de sa mission permanente de prodiguer la bonne parole. Très loin des grands discours et des grandes théories, des luttes engagées et des ayatollahs du politiquement correct, ce film est à ne pas manquer.
Pierre Mylestin – Boulevard Voltaire