Plus fort que De Gaulle ! Emile Bouétard, le premier militaire français du débarquement !!!

(Photo/ Émile Bouétard en bivouac en Écosse, en février 1944. © François Souquet)

De l’opération Overlord, l’histoire a surtout retenu le débarquement des Américains, des Britanniques ou encore des Canadiens. Mais dans la nuit du 5 au 6 juin, des parachutistes français ont été parmi les premiers à participer à la Libération.

En ce jeudi 5 juin, à des centaines de kilomètres des plages du Débarquement, un hommage va être rendu à un héros de l’opération Overlord. En présence d’anciens et d’actuels parachutistes, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian va s’incliner à Plumelec, dans un petit coin de la campagne bretonne du Morbihan, devant la stèle d’Émile Bouétard. L’homme est, comme l’indique le monument, “le premier mort des troupes débarquées pour la Libération”.

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, ce caporal breton âgé de 29 ans est à bord d’un quadrimoteur Stirling. Il vient de quitter l’Angleterre en compagnie d’une trentaine de parachutistes français. Ces hommes, répartis dans deux avions, sont membres du Special Air Service (SAS). Ils ont pour mission d’établir deux bases appelées Samwest et Dingson, en Bretagne, de trouver des terrains et de préparer la réception d’autres éléments de leur bataillon parachutiste. Émile Bouétard fait partie du “stick” (groupe de combat) du lieutenant Pierre Marienne.

À environ 22h30, heure locale, cette petite équipe est larguée au-dessus du Morbihan. La descente se passe sans encombre, mais ces SAS ne tombent pas exactement à l’endroit prévu. Leur parachutage a été repéré par des soldats allemands postés dans un moulin situé tout près. L’alerte est donnée. Tandis que plusieurs membres du stick recherchent le matériel dispersé dans les arbres et les talus aux alentours, Émile Bouétard reste en position avec les trois hommes de l’équipe radio. “Le lieutenant Marienne lui avait demandé de garder les radios et de les protéger pendant que les autres cherchaient une malle. C’est à ce moment-là que les Allemands sont arrivés.

C’était en fait des “Russes Blancs” [l’armée allemande comptait dans ses rangs des troupes supplétives composées de Géorgiens ou Ukrainiens, NDLR]. Ils étaient très nombreux”, raconte François Souquet, le biographe du caporal Bouétard. Ce dernier se retrouve assailli de tous les côtés. Touché à l’épaule, il s’écroule au sol. L’un des soldats ennemis l’achève d’une rafale dans la tête alors que trois de ses camarades sont faits prisonniers.

“Le courage de Bouétard”

Émile Bouétard est communément considéré comme le tout premier soldat allié mort au cours de l’opération Overlord. Mais selon David Portier, spécialiste des SAS, ce titre peut également être attribué à deux soldats britanniques : le lieutenant Den Brotheridge et le lance-caporal Fred Greenhalgh du régiment des Oxfordshire & Buckinghamshire Light Infantry, mortellement touchés lors de l’assaut du pont de Bénouville sur le canal de l’Orne. “Il y a eu parfois des confusions car il y avait deux heures de décalage entre l’heure alliée et celle utilisée par les paysans français à l’époque. Selon l’heure alliée, Émile Bouétard est mort vers 1h30, alors que ces soldats anglais ont été tués vers 00h30. Les archives des pilotes de la RAF [Royal Air Force, NDLR] sont très claires là-dessus”, explique l’auteur des “Parachutistes SAS de la France libre”. “Mais cela n’enlève rien au courage de Bouétard et à ce qu’il a pu faire”, tient à préciser David Portier.

Né à Pleudihen-sur Rance dans les Côtes du Nord (aujourd’hui Côtes d’Armor), ce fils de paysan a en effet eu un parcours remarquable. Émile Bouétard s’engage très jeune dans la marine marchande. Alors que la guerre éclate en 1939, il est mobilisé comme matelot. Mais la défaite française l’oblige à retourner sur la terre ferme. Révolté par l’occupation allemande, le Breton décide de rejoindre l’Angleterre. Pendant un an, de Marseille à Casablanca en passant par les États-Unis, il met tout en œuvre pour répondre à l’appel du général de Gaulle. En janvier 1943, il débarque enfin en Grande-Bretagne. “Avec l’un de ses amis, il commence par s’engager dans la marine. Tous deux apprennent ensuite qu’on cherchait des volontaires parachutistes. Ils se sont dit que c’était le meilleur moyen d’arriver parmi les premiers en France. Ils ont signé leur engagement le 25 février”, raconte François Souquet. 

Pendant de très longs mois, commence un entraînement intensif. Émile Bouétard a rejoint une unité d’élite : les SAS dont la devise est “Qui ose gagne”. Sous commandement britannique, deux régiments français (le 2e régiment de chasseurs parachutistes du commandant Pierre Bourgoin et le 3e régiment de chasseurs parachutistes du capitainePierre Chateau-Jobert) vont être formés dans un but bien précis. “Il s’agissait de faire des actions derrière les lignes, de monter des embuscades, de faire sauter des dépôts d’armes ou les moyens de communication, donc de harceler l’ennemi. Seulement deux hommes pouvaient attaquer un convoi. La technique SAS est celle du ‘hit and run’ : frapper rapidement, partir vite et recommencer quelques kilomètres plus loin”, explique David Portier. Pour préparer au mieux cette mission, Émile Bouétard et ses compagnons de combat sont envoyés de camp en camp, du nord de l’Ecosse à Manchester. Les “Frenchies” multiplient les sauts en parachutes, les expéditions en pleine nature ou encore les exercices de combat rapproché. “Il ne faut pourtant pas croire qu’ils ressemblaient à des Rambo, comme les gars des forces spéciales aujourd’hui”, souligne le spécialiste des SAS. “Ce n’étaient vraiment pas des militaires et des mecs baraqués. Il y en a un que je connaissais qui était à moitié myope. Ils ont tous menti sur leur âge et sur leur état de santé pour pouvoir y participer”.

“Nous n’avons pas peur”

Parmi ces soldats surentraînés, Émile Bouétard serre les dents, il n’entend pas se faire exclure des SAS. Blessé à l’épaule, il poursuit malgré tout sa formation. Comme il l’explique dans une lettre, celui que l’on surnomme le “petit vieux” – il est plus âgé que ses compagnons, compte bien en découdre avec les Allemands : “De durs combats nous attendent, mais nous n’avons pas peur car nous sommes là pour venger tous les crimes faits pendant les longues années d’occupation”. Mais dans l’avion qui le mène en France, le parachutiste ne se montre plus si confiant. Il sent que sa première mission sera aussi la dernière. “Juste avant de décoller, il y a eu un rayon de soleil qui a balayé la carlingue. Il a dit à l’un de ses voisins que c’était surement la dernière fois qu’il en voyait un. Il savait qu’il allait au casse-pipe”, estime François Souquet.

Comme lui, plus de 70 SAS vont ainsi perdre la vie et plus de 200 vont être blessés jusqu’au mois d’août 1944, au cours de cette opération en Bretagne. Le lieutenant Marienne, devenu capitaine, est notamment tué un peu plus d’un mois après Émile Bouétard, à quelques kilomètres de l’embuscade qui a coûté la vie au jeune caporal, dans cette même ville de Plumelec au côté de 17 parachutistes et résistants. Les survivants des SAS sont également déployés dans plusieurs zones en France (Centre, Vendée, Poitou, Limousin, Lyonnais et Saône et Loire) avant de participer à l’opération Franklin dans les Ardennes en décembre puis l’opération Amherst aux Pays-Bas en avril 1945.

“On ne parle toujours pas d’eux”

Soixante-dix ans après, ces missions héroïques sont pourtant très peu connues du grand public. Pour François Souquet, l’histoire a oublié les SAS : “On ne parle que du commando Kieffer [les 177 français qui ont débarqué en Normandie, NDLR] depuis seulement six ou sept ans. Les SAS, on ne parle toujours pas d’eux”. David Portier fait le même constat et travaille depuis près de 20 ans à réhabiliter leur mémoire : “À la fin de la guerre, on a demandé aux Français libres de rentrer gentiment chez eux et ils n’ont pas été remerciés. Certains anciens m’ont dit que quand ils sont revenus, ils avaient l’impression de déranger par rapport à tous les attentistes qu’il y a pu avoir en France. On disait que la France avait été libérée par les résistants, mais quand on fait le compte, il y a eu plus de collaborateurs”.

Les deux auteurs voient, dans les commémorations du 70e anniversaire du D-Day, l’occasion de mettre en lumière l’engagement de ces hommes. Émile Bouétard sera honoré le 18 juin prochain dans sa ville natale de Pleudihen-sur-Rance, alors que se tiendra le week-end du 20 juin à Saint-Marcel, dans le Morbihan, un grand rassemblement en mémoire des combats du maquis de cette ville auxquels participèrent les SAS du commandant Bourgoin. Comme l’a résumé le général de Gaulle, en leur rendant un ultime hommage : “Le but fut atteint, la victoire remportée, maintenant que la bassesse déferle ! Eux regardent le ciel sans pâlir et la terre sans rougir”.

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