Ramassis de mesures disparates, la nouvelle proposition de loi sur l’autorité parentale augmente la confusion déjà existante et prend délibérément le parti de ne pas s’occuper de l’intérêt de l’enfant.
Déposée le 1er avril 2014 par Erwann Binet et ses collègues, la proposition de loi sur l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant n’a rien d’une bonne blague. L’intitulé ne doit pas tromper, car le moteur de ce texte n’est pas l’intérêt de l’enfant mais plutôt l’ego et les droits des adultes au service desquels l’enfant sert de variable d’ajustement. L’exposé des motifs est révélateur, qui se propose de« préciser les droits et les devoirs des tiers qui concourent à l’éducation de l’enfant », comme si le fait de vivre « avec un enfant et de contribuer à son éducation » pouvait conférer des droits sur lui ! Depuis la loi Taubira sur le mariage, le droit de la famille s’emploie désormais à organiser les droits concurrents et partagés des adultes sur les enfants dont l’intérêt passe au second plan, et mentionner l’intérêt de l’enfant au frontispice du texte ne trompe plus personne. L’abandon de la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant est d’ailleurs révélateur, alors que la France s’est engagée à défendre cet intérêt supérieur qu’est celui de l’enfant en ratifiant la Convention internationale des Droits de l’enfant de l’Onu de 1989.
Quant à sa genèse, ce texte reprend le volet autorité parentale de l’avant-projet de la fameuse loi famille présenté par le gouvernement en mai 2013 et abandonné depuis, de peur de devoir aborder la question de l’insémination artificielle pour les couples de femmes. Notons que l’abandon d’un projet gouvernemental au profit d’une proposition de loi, émanant de députés, permet au passage d’éviter l’étude d’impact, l’avis juridique du Conseil d’État et la consultation des organismes indépendants concernés. Sur un sujet aussi sensible que celui de l’autorité parentale, le législateur préfère adopter des mesures idéologiques sans prendre la peine de mesurer leur portée ni de demander l’avis des instances compétentes.
Des mesures disparates
Sur le fond, le texte n’est qu’un ramassis de mesures disparates pour la plupart inutiles et, pour certaines, carrément pernicieuses. On n’insistera pas sur les mesures inutiles encore que, comme le disait Portalis, les lois inutiles nuisent aux lois nécessaires, ce qui est encore une fois vérifié : par exemple, le texte permet aux parents de donner au tiers vivant avec l’un d’eux et l’enfant un « mandat d’éducation quotidienne » d’accomplir les actes usuels de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant. Ce mandat est absolument inutile puisque, en l’état du droit, le seul fait de confier son enfant à un tiers comporte l’autorisation tacite d’accomplir les actes usuels. En revanche, cette mesure est très ambiguë : s’il est nécessaire de donner au concubin ou au partenaire un mandat d’éducation quotidienne, cela signifie qu’il n’a pas, en l’absence de ce mandat, le droit d’accomplir les actes usuels. Que dire alors des nounous, baby-sitters et amis auxquels l’enfant est confié pour un anniversaire ou des vacances ? L’enfant ne pourra plus être confié à personne si les tiers ont besoin d’un mandat pour s’occuper de lui. Voilà comment une mesure inutile et idéologique introduit la confusion dans les relations familiales. On pourrait multiplier les exemples.
Résidence alternée
Beaucoup plus grave, le texte prévoit de faire de la résidence alternée le principe en cas de séparation des parents. Or, la résidence alternée par principe est une mesure idéologique qui vise à assurer l’égalité entre les parents, sans tenir compte du fait que cette mesure peut être désastreuse pour l’enfant, surtout en bas âge qui a besoin de vivre dans un cadre stable et ainsi sécurisant.
Également, le texte permet aux parents de partager l’autorité parentale avec un tiers, par un simple contrat homologué par le juge aux affaires familiales. Le droit actuel permet déjà cette délégation-partage, mais par décision judiciaire et seulement si les besoins de l’éducation de l’enfant l’exigent. Ceci disparaît et le partage ne dépend plus que de l’accord des adultes concernés, le juge se contentant de vérifier qu’il n’est pas contraire à l’intérêt de l’enfant, ce qui n’est pas suffisant. En effet, avec ce texte, l’enfant se voit soumis à l’autorité des différents adultes qui se succèdent dans sa vie sans que son intérêt le justifie, et cette banalisation du partage de l’autorité parentale peut être très mal vécue par lui.
La médiation familiale
Pour finir, le texte vise à promouvoir la médiation familiale. Mais ceci ne peut servir de caution au reste de la proposition alors que, en outre, la médiation familiale mériterait bien un texte ad hoc et une réflexion en soi, car l’expérience révèle qu’elle peut aussi être le lieu où le plus fort ou le plus malin arrive à ses fins, notamment en raison du manque de formation des médiateurs.
Finalement, ce qui manque le plus à cet énième texte, c’est le bon sens : si la vie des enfants vivant avec des couples décomposés et recomposés est compliquée, ce n’est pas à cause du droit mais parce qu’il est délicat pour un enfant de vivre avec des adultes qui ne sont pas ses parents, et vice versa. Les législateurs successifs, de droite comme de gauche car ce texte rappelle étrangement l’avant-projet présenté en son temps par Nadine Morano, tentent de réparer les effets dévastateurs de la séparation parentale. Pourquoi ne cherchent-ils pas, aussi, les moyens d’éviter ces séparations destructrices ? Le mariage est la structure qui présente les meilleures chances de stabilité en raison de l’engagement sur lequel il repose et du cadre protecteur qu’il offre. Pourquoi ne pas encourager les parents à s’engager dans le mariage, et à y demeurer, par exemple par des mesures fiscales incitatives ? Chacun est libre ensuite de se marier ou non, mais mieux vaut prévenir que guérir, et une seule mesure favorable au mariage vaudrait mieux que toutes ces propositions sur l’autorité parentale et le soi-disant intérêt de l’enfant.
Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé et auteur de PMA – GPA, La controverse juridique, Téqui, 90 p., 9 euros, et Mariage des personnes de même sexe. La controverse juridique, Téqui, 64 p., 7,90 euros.