Le château des Bois Noirs de Robert Margerit

Au lendemain de la guerre, une jeune fille élevée dans le meilleur monde se laisse épouser par un hobereau de la Haute-Auvergne. Tournant le dos à une existence parisienne vouée à la mondanité, elle ira vivre avec lui dans la retraite anachronique d’un vieux manoir de famille, au coeur des Bois-Noirs, petit massif forestier perché entre la Loire et l’Allier, et que le temps semble avoir oublié. Dans ce lieu d’un autre âge, elle découvre avec quelque stupeur un monde qui n’a pas encore dépouillé son antique barbarie – monde auquel elle décide, tant bien que mal, de s’adapter. Elle y sera aidée par l’amitié affectueuse – et bientôt passionnée – de son beau-frère. Mais leur inclination, d’abord inavouée, ne tarde pas à s’opposer à la sauvagerie native du mari, personnage taciturne, emmuré dans sa solitude, et qui nourrit pour sa femme un sombre et insatiable amour. Au point de devenir à son tour, poussé par ses démons, le ministre d’un destin qui a fait séculairement de la vieille demeure le royaume de la Mort la plus cruelle.

 

Notice biographique :
Rédigée par Robert Margerit en 1950.

1°) Né à Brive (Corrèze), le 25 janvier 1910.

2°) Père et mère d’origine corrézienne.

3°) Sœur musicienne. Frère se préparant au notariat, mais faisant de la peinture. Père négociant. S’était retiré des affaires, par suite de maladie, avant ma naissance. Il dessinait et avait écrit des poèmes. Lisait beaucoup.

4°) Enfance à Brive. Assombrie par la guerre. Premiers souvenirs marquants : le tocsin, la mobilisation, le départ de mon frère pour le front, ses permissions, l’anxiété à la maison. Restrictions.
Grande admiration pour mon père.
Goût de la solitude en compagnie de mes livres d’enfant : Jules Verne et « Les merveilles de la Science » de Figuier.

5°) Adolescence à Brive jusqu’à seize ans et demi, avec quelques voyages et séjours dans le Midi. Collège. Bachot de réthorique à Brive.
Intellectuellement, cette période est marquée par un goût très vif pour l’histoire ancienne jusqu’à la fin du Moyen âge. L’Iliade et l’Odyssée, Les Métamorphoses, La Chanson de Roland, les romans du cycle arthurien, ont été mes premières admirations littéraires. Un peu plus tard, Ivanhoë et tous les romans de Walter Scott, La Salammbô de Flaubert, Macbeth et Othello, Horace, Cinna, tout le théâtre de Racine, Thaïs et Aphrodite, les poètes symbolistes, notamment Samian (mais en plus de ces auteurs, je lisais énormément, et toutes sortes de livres). J’étais très intéressé par la préhistoire et pratiquais avec deux amis, sous la direction d’un prêtre archéologue, des fouilles dans les grottes corréziennes. J’avais entre 14 et 15 ans quand j’ai écrit pour la première fois une nouvelle. J’y imaginais l’invention de l’arc par les premiers hommes.
D’autre part : vives impressions à la lecture des romans d’Alphonse Daudet et de Dickens, un certain goût pour la somptuosité de Chateaubriand et un mépris juvénile pour les romantiques.
Je dessinais, faisais de l’aquarelle, essayais de modeler, me livrais à toute sorte de travaux manuels (installations électriques, etc.). Pendant des vacances, mon père m’avait fait travailler pendant trois mois chez un menuisier et, une autre année, pendant trois mois chez un relieur.
Physiquement, cette période est dominée par l’eau et tout ce qui a trait à l’eau, la mer (Méditerranée), la pratique de l’athlétisme (champion inter-scolaire de course à pied), le rugby (trois-quart aile dans l’équipe du collège), le tennis. Grandes randonnées à pied et à bicyclette.
Entre 15 et 16 ans, découverte facile et joyeuse de l’amour physique. Confirmation du sentiment inné que les femmes sont des êtres de beauté et de charme, et n’ont d’autre raison d’être que l’amour.

6°) Après 16 ans, philosophie, et études de notariat à Limoges où j’habite chez ma sœur, mariée à un assureur. Existence très mondaine et très sportive. Tennis, natation, auto, cheval, chasse, escrime. Beaucoup de danse. Snobisme. Aventures mondaines (genre assez Casanova parfois).
Vie intellectuelle réduite aux études — quelque peu négligées. Cependant, la philosophie, surtout la psychologie associée à la physiologie du cours d’histoire naturelle, a été une révélation. Je lis des romans qui me tombent sous la main (beaucoup de Colette) et des poètes. Les Symbolistes m’ont conduit à Verlaine, celui-ci à Rimbaud et à Laforgue. Baudelaire est mon poète de chevet. Je fais des vers symbolico-baudelairiens pour mes belles amies. Continue à dessiner.
Puis changement brusque, par suite du départ de ma sœur et mon beau-frère pour Paris. Resté seul à Limoges, je vis en chambre meublée. Existence d’étudiant. Contacts avec des étudiants en Lettres qui me font découvrir Duhamel, Gide, Montherlant, Mallarmé, Valéry, Apollinaire, Cocteau, les surréalistes. J’écris, comme mes amis, de petits articles pour des revues locales. Fais la connaissance de peintres, travaille avec eux. Séances de « modèle ». Je les suivrai régulièrement pendant quatre ans.
À ce moment, mon désir est de devenir peintre et émailleur. La littérature ne m’intéresse que comme amusement. Cependant, ma situation pécuniaire étant devenue très précaire, j’accepte de faire, à la place d’un de mes amis quittant la ville, des comptes rendus de films et d’expositions de peinture pour un quotidien régional : Le Populaire du Centre. En même temps, et toujours pour gagner ma vie, je donne des répétitions de français-latin et je fais, aux Archives départementales, des recherches pour des généalogistes parisiens. Temps plutôt durs, où je ne fais qu’un repas par jour et où je dois renoncer à peindre, faute de pouvoir acheter le nécessaire.

En 1931, mes études de notariat finies, je cherche vainement une place de clerc rétribuée lorsque, à l’improviste, Le Populaire m’offre de me prendre comme rédacteur en titre, chargé des rubriques cinématographique, artistique, théâtrale, littéraire, scientifique, etc. (car il y avait aussi des et caetera) 2. J’accepte, trop heureux de trouver une situation, n’importe laquelle.
Dès lors, intense travail d’instruction et d’absorption. D’une part, j’étudie, pour pouvoir en parler à mes lecteurs, Balzac, dont je ne connaissais que quelques œuvres, Stendhal (dont Le Rouge et le Noir devient mon livre de chevet), Proust (qui m’enivre), Flaubert, Zola, Maupassant, Bourget, Barrès, toute la littérature des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, et les littératures étrangères. D’autre part, je poursuis mes travaux d’archives, mais pour mon plaisir cette fois, et j’apprends l’histoire par les documents d’époque. Je continue à peindre d’après modèle. Quant aux sports, je n’ai plus le temps de les pratiquer, sauf la natation et l’équitation (préparation militaire aux Dragons).
Un accident, qui m’a laissé une infirmité du bras gauche, me fait réformer à l’incorporation.

Le rapport de mon travail au journal et au poste de Radio-Limoges où je fais une chronique hebdomadaire me permet de vivre à l’aise. Mais je travaille une quinzaine d’heures par jour — le matin, pour moi. Je m’amuse à tirer de mes notes d’archives des nouvelles historiques, dont une sera publiée par une revue régionale. Une autre : Les Pistolets d’arçon, sera acceptée par le Mercure de France. Par contre, une nouvelle surréaliste m’est refusée par la n.r.f., avec néanmoins une note encourageante de Jean Paulhan. Peu emballé par ce demi-succès, je retourne à la peinture et m’en tiens pour le reste à mon métier de critique. Mais mes amitiés avec les jeunes Georges-Emmanuel Clancier et Jean-Marie Amédée Paroutaud, que je fais collaborer à ma page littéraire du Populaire, et mes contacts avec Jean Blanzat, me ramènent à la manie d’écrire pour le plaisir. Je tire d’une série d’articles pour le journal un essai sur Malherbe. J’entreprends un roman d’aventures surréaliste : L’Île des perroquets, que j’abandonne, puis un roman intitulé Phénix, que j’abandonne aussi.

Marié en 1937, installé l’hiver à Paris, l’été à Thias, maison de campagne de mes beaux-parents, aux environs de Limoges, et ancienne demeure d’Émile Montégut, autrefois critique de La Revue des Deux Mondes, je me remets à écrire en 1938, reprends Phénix et le termine à la veille de la guerre, à Thias.

Maintenu réformé par les commissions de récupérations en 39-40, je me consacre entièrement à faire paraître, avec le rédacteur en chef et deux camarades, Le Populaire du Centre vidé de ses rédacteurs.

En 1941, je me retire complètement à Thias et, dans cet isolement, reprends L’île des perroquets sous la forme d’un roman d’aventures classique et Phénix comme exercice de style. Puis j’écris Mont-Dragon qui paraîtra à la Libération et obtiendra des voix au Renaudot, une petite pièce de théâtre : Les loups-garous, Le vin des vendangeurs, deux romans non publiés, des nouvelles, et une histoire de Limoges parue en articles dans L’Appel du Centre.

[ndlr: Pendant l’Occupation L’Appel du Centre(du 7 février 1941 au 17 août 1944) se substitue au Populaire du Centre.]


Le Populaire du Centre reparut à la Libération ; j’y rentre comme critique littéraire et critique d’art, ainsi qu’à la radio où, pendant deux ans, je ferai une histoire de la poésie française, sous forme de chroniques hebdomadaires. Puis, au début de 1948, après des essais infructueux pour trouver un appartement à Paris, les circonstances m’obligent à devenir rédacteur en chef du journal (1948 octobre à 1952 septembre), ce qui ne me laisse guère le temps d’écrire.
Il m’a fallu deux ans pour terminer mon dernier roman : Par un été torride.

 

[ndlr: À ses débuts de journaliste, Robert Margerit a été chroniqueur judiciaire en particulier les couvertures de procès en Cours d’Assises : « … le métier de journaliste offrait au romancier la meilleure des écoles. La correctionnelle, la Cour d’Assises, les reportages sont de vivantes et constantes leçons de psychologie. On y apprend à déchiffrer les êtres, à lire les visages, à pénétrer les âmes, et à saisir rapidement les atmosphères. À cet égard, l’apport du journalisme au romancier a été considérable ». (Tapuscrit Singulier-Pluriel, p. 104)]

 

7°) Dans les milieux littéraires, j’ai pour vieil ami Jean Blanzat. J’entretiens des relations amicales avec Luc Estang, Roger Peyrefitte, Maurice Noël, Henri Parisot. J’ai échangé des lettres avec Julien Gracq, mais ne l’ai jamais rencontré. Si, mais plus tard.

8°) J’ai horreur des voyages. Ne suis jamais sorti de France et n’ai aucune envie de le faire.

9°) Passion de la peinture et de la gravure. Affectionne le cinéma — celui des ciné-clubs, mais même le cinéma commercial. Préfère un mauvais film à la meilleure pièce de théâtre. J’aimerais la musique si je n’avais autre chose à faire que de l’écouter. Au reste, ce ne sont pas les sensations de l’oreille qui comptent pour moi, mais celles des yeux. J’aime tous les aspects de la danse, depuis les ballets classiques jusqu’au french cancan, les revues à grand spectacle et tout ce qui met en valeur la beauté du corps humain, suprême forme de beauté pour moi.

10°) Considère le surréalisme comme la tentative la plus aiguë qui ait été faite pour aller au bout de l’homme et de son mystère intérieur et le tiens pour le plus parfait moyen d’art.
Je tiens l’existentialisme pour un phénomène d’occasion, dépourvu d’intérêt. C’est une attitude ; ce n’est pas un moyen.
Ai d’ailleurs horreur de toutes les idées générales et les théorèmes.

11°) Aime bien lire des romans américains. Mais n’admire pas cette littérature. Technique très remarquable. Mais quant au fond, ce que nous y retrouvons, ce sont nos grands écrivains à nous, recarrossés. Il n’y a pas d’écrivain américain original, sauf des reporters ou des écrivains d’occasion, par exemple, Betty Mac Donald dans L’œuf et moi. La littérature américaine la plus spécifique, c’est celles des thrillers.
J’affectionne la littérature anglaise, très riche et très fine.
J’admire et j’aime la littérature russe, très riche des Gogol, Pouchkine, Lermontov, Tolstoï et Dostoievsky, et regrette qu’elle soit actuellement tombée en l’enfance.

12°) La solitude. La peinture, la gravure et le modelage.

13°) Ne pratique plus comme sport que la natation.

14°) Ai perdu l’habitude de faire des projets. Espère cependant pouvoir de nouveau habiter Paris l’hiver et Thias l’été. Travaille à un nouveau roman. 4

Ici, s’achève la rédaction de sa notice autobiographique (1910-1950). Quelques repères biographiques complémentaires ont été apportés à la suite de ce texte.

1951. Publication de son septième roman : Le Dieu nu, pour lequel il se verra décerner le prix Renaudot. L’intérêt porté à Mont-Dragon par Julien Gracq a sans doute donné un sérieux coup de pouce à la reconnaissance de Robert Margerit par le milieu littéraire de l’époque. D’ailleurs, à partir de 1952, il va délaisser le journalisme pour se consacrer presque entièrement à l’écriture romanesque.

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1958-1961. Membre du comité des lettres de la r.t.f. (Radio Télévision Française).

1963. La Révolution. Monumentale somme historico-romanesque en trois volumes, grossie d’un quatrième publié en 1968, La Révolution sera couronnée par le grand Prix de L’Académie française en 1963.
Pendant toute cette période, très féconde, Robert Margerit partage son temps entre Thias, où il réside du printemps à l’automne, et Paris où il fréquente les grands écrivains de l’époque. Et ce du fait, en particulier, de son appartenance à la Société des Gens de Lettres de 1957 jusqu’à 1976.
Membre du Comité directeur, il sera vice-président de 1960 à 1965, puis vice-président honoraire à partir de 1976.

1964 : Waterloo : 18 juin 1815. Ouvrage historique sur la période napoléonnienne.

1968 – 1988 : Le temps de la mélancolie et du retour sur soi.
Épuisé par les années de travail consacrées à la recherche de sa documentation historique et à l’écriture des quelque deux mille pages de La Révolution, Robert Margerit est l’objet de multiples ennuis de santé.
En dépit de certaines rémissions, qu’il mettra à profit pour écrire deux ouvrages à caractère nettement autobiographique, non publiés à ce jour, l’écrivain, à qui la puissance créatrice semble faire cruellement défaut, ne parviendra plus à mener à bien les divers projets de romans qu’il entreprend.

 

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Victime de s’être littéralement tué à la tâche d’écrire, Robert Margerit s’éteindra à l’hôpital de Limoges, le 28 juin 1988.

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