Le Grand-Saint-Antoine, un bateau en provenance du Levant (la région de la Syrie), accostant à Marseille le 25 mai 1720 est à l’origine de la terrible épidémie peste de 1720. En effet, sa cargaison constituée d’étoffes et de balles de coton est contaminée par le bacille de Yersin responsable de la peste. À la suite de graves négligences, et malgré un dispositif de protection très strict comportant notamment la mise en quarantaine des passagers et des marchandises, la peste se propage dans la ville. Les quartiers déshérités et les plus anciens sont les plus touchés. La peste s’étend rapidement dans la cité où elle entraîne entre 30 et 40 000 décès sur 80 à 90 000 habitants, puis en Provence où elle fait entre 90 000 et 120 000 victimes sur une population de 400 000 habitants environ.
La responsabilité de la non-application de la réglementation a été recherchée à l’époque auprès du commandant du navire, le capitaine Jean-Baptiste Chataud, et du premier échevin, Jean-Baptiste Estelle. Aucune preuve formelle n’a pu être trouvée. Il est cependant certain que les intendants de santé chargés de cette réglementation ont agi avec beaucoup de légèreté : la question de savoir s’ils ont subi des pressions de la part des échevins reste sans réponse.
En juillet 1979, Michel Goury et son équipe d’archéologues plongeurs, mandatés par le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous marines (DRASSM), fouillent le sable par 8 mètres de fond, dans la calanque de Jarron, ile de Jarre. Les vestiges que l’aspirateur à sédiments découvre peu à peu intriguent les chercheurs : à l’évidence il s’agit des éléments de construction d’une coque ancienne, mais à quel navire ont-ils appartenu et pourquoi sont-ils calcinés ? Totalement dégagée , la coque livre son secret : il s’agit bien de celle du Grand Saint-Antoine, le vaisseau qui en 1720, au retour du Proche-Orient, amena la peste à Marseille. Débute alors pour Michel Goury une longue quête de vérité sur la trace de ce navire, de son capitaine et équipage, de ces passagers. Cet ouvrage, rédigé avec la rigueur de l’historien et la plume d’un écrivain se lit comme un roman. Il étonnera le lecteur par la richesse et la précision des faits qu’il relate, tout autant que par le réalisme et la finesse des aquarelles originales de Jean-Marie Gassend qui l’illustrent, et le conduira des marchés de Smyrne aux caravanes de Tripoli de Syrie, puis à Livourne, au Brusc et à Marseille. Il découvrira à l’ombre des corbeaux, ces chirurgiens portant manteau noir et masque à bec de canard, la vie aux infirmeries, les souffrances des personnes soumises à la quarantaine, la propagation de la peste au travers d’archives inédites, et accompagnera le capitaine Jean-Baptiste Chataud dans son cachot de l’ile d’If et lors de son procès. En fin, il suivra les traces de ce capitaine déchu dans le voyage qui le conduira à la cour du roi à Paris pour solliciter une réhabilitation et au cours duquel il décèdera dans le petit village de Val-Suzon, près de Dijon. S’il est vrai qui l’histoire se construit au travers des évènements, il est non moins vrai qu’elle se lit dans la vie des hommes, et ce livre en est une illustration brillante.
Un homme, un navire, la peste de 1720, Michel Goury, aux éditions Jeanne Laffitte, 237 pages.