Tandis que le printemps arabe s’est mué en hiver islamiste avec la victoire des Frères musulmans en Égypte et des salafistes en Tunisie, l’enthousiasme occidental d’hier s’est mué en inquiétude. À la chute des dictatures militaires et policières séculières a succédé la victoire dans les urnes des seuls opposants structurés et vivant au cœur des masses arabes : les Frères musulmans. À leur suite, et les pressant à plus de radicalité, les salafistes.
La chute du Sardanapale de Tripoli aura beaucoup contribué à déstabiliser la région saharo-sahélienne, avec le retour massif au Mali de combattants touaregs armés et décidés à profiter de la nouvelle donne régionale.
On connaît la suite. L’accord fragile des indépendantistes de l’Azawad avec les groupes jihadistes armés, les risques de contagion régionale mettant en jeu le Mali, le Nigeria, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire. C’est la sécurité du sud de la Méditerranée – et partant de l’Europe, qui est en jeu.
Dans ce contexte très agité, un pays semble faire exception : le Maroc.
Avec la publication de l’ouvrage collectif L’Exception marocaine, les universitaires Charles Saint-Prot et Frédéric Rouvillois ont voulu faire la lumière sur cette particularité du Maroc.
Les auteurs marocains et français y analysent les évolutions en cours dans la région et présentent des contributions variées permettant de mieux cerner pourquoi le Maroc fait exception.
Si les institutions marocaines ont démontré à plusieurs reprises leur capacité réformatrice depuis 1962, les réformes se sont accélérées pour faire face aux impatiences populaires, mais elles se font dans la stabilité, dans la durée et par consensus.
Selon les universitaires Philippe Lauvaux et Christophe Boutin, l’un des atouts du Maroc est sa monarchie nationale millénaire qui est non seulement le socle de l’identité et de la tradition du Maroc, mais encore le moteur des réformes et du progrès. En raison des vertus de l’institution monarchique qui « a le temps pour elle » et qui garantit contre les excès, les violences et le saut dans l’inconnu d’une vacance du pouvoir, le Maroc aura pour une large part méconnu les bourrasques du printemps arabe.
Professeur de droit public à l’Université Paris Descartes, Frédéric Rouvillois met en relief le caractère réformiste de la monarchie marocaine, notamment depuis l’arrivée sur le trône de Mohammed VI en 1999. Ce réformisme a permis de prévenir la crise qui a sévi partout ailleurs, en poursuivant trois axes complémentaires : le renforcement de l’État de droit et la protection des libertés fondamentales, la modernisation des structures, les grands projets économiques et sociaux.
En annonçant solennellement le 9 mars 2011 une révision de la Constitution, le Roi a pris l’initiative, « renversé la vapeur », et coupé « l’herbe sous le pied des principaux opposants du régime ». Le réformisme marocain confirme la remarque du philosophe anglais Edmund Burke : « Un État sans les moyens de changer se prive des moyens de se conserver ».
Pour sa part, Charles Saint-Prot, directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris, insiste sur le fait que, loin du chaos libyen et égyptien ou de la paralysie de l’Algérie voisine, le Maroc poursuit la construction d’un modèle spécifique, dans le respect de ses traditions historiques. Il « ne s’agit pas de refaire le monde selon des préférences idéologiques, mais juste de faire évoluer son pays vers de meilleurs horizons sans pour autant le détruire et le plonger dans l’inconnu ».
En s’appuyant sur ses fondamentaux garantis par la monarchie et grâce aux impulsions modernisatrices qu’elle insuffle, notamment les grands chantiers d’avenir que sont les énergies renouvelables, l’aménagement de Tanger Med, les infrastructures, le Maroc est désormais un pays émergents. Et si le vrai printemps arabe était sous le soleil du Maroc ?
L’Exception marocaine, sous la direction de Charles Saint-Prot et Frédéric Rouvillois, Éditions Ellipses (2013), 288 pages.
13 Comments
Comments are closed.