Le coeur politique et religieux de la ville gallo-romaine fondée à l’orée de notre ère a été démoli par les barbares… À regarder le flot automobile qui remonte la rue Soufflot vers le Panthéon, il est difficile d’évoquer mentalement la Lutèce gallo-romaine qui avait là son coeur. Et pourtant, c’est bien là, devant nous, que se dressait le forum de Lutèce. Un magnifique édifice de 180 mètres de long sur 90 mètres de large, entouré d’un portique à arcades. Il occupait toute la largeur de la rue, et même plus encore. Et puis il s’allongeait jusqu’à la rue Saint-Jacques. Il n’en reste rien, dramatiquement rien. Voilà quelques années, les parkings creusés sous la chaussée ont éventré, massacré les ultimes vestiges souterrains. Quelques pierres sculptées sont conservées dans des musées.
Les Romains aimaient doter les villes nouvellement conquises de monuments publics énormes pour impressionner la population. C’est ce qu’ils ont fait à Lutèce. Comme c’était leur habitude, les urbanistes romains ont délaissé la ville conquise, brûlée et rasée, pour un site vierge convenant davantage à leur esthétique urbaine. Il serait désormais acquis que la Lutèce gauloise ne se situait pas dans l’île de la Cité, où les archéologues n’ont trouvé aucune trace de cité incendiée. Certains d’entre eux situent la capitale gauloise à Nanterre, où les traces d’une ville importante ont été découvertes récemment. Quoi qu’il en soit, quelques années après notre ère, des arpenteurs romains choisissent le flanc de notre montagne Sainte-Geneviève pour tracer une nouvelle cité dominant la Sequana (la Seine) à la hauteur d’un gué emprunté depuis des millénaires. Lutèce est tracé au cordeau. Le cardo, l’axe principal, est notre rue Saint-Jacques. Plusieurs édifices publics jaillissent de terre (entre 50 et 100 après JC) : des thermes, des amphithéâtres et un forum. Était-ce déjà celui dont on a trouvé des indices sous la rue Soufflot ou bien un premier, plus modeste ? Mystère.
Le forum est le coeur politique et religieux de la cité, qui comprend une basilique servant tout à la fois de salle de tribunal, de marché couvert, de bourse de commerce. Les citoyens viennent s’y enregistrer. À l’autre extrémité de l’édifice se dresse le temple dédié au culte impérial. Existait-il une curie, abritant le sénat local ? Contre les murs du forum sont accolées des centaines d’échoppes où les Lutéciens se pressent pour faire leurs achats.
Durant deux siècles, la cité prospère, puis arrivent d’affreuses nouvelles de l’est : les barbares auraient quitté leurs steppes pour envahir le monde romain. De premières hordes atteignent bientôt Lutèce, ouverte à tout vent. Elles tuent, pillent, rasent et incendient. Les habitants abandonnent leur cité pour se réfugier dans l’île de la Cité, mieux défendable. Les villas, les thermes, les arènes de Lutèce et le forum ne sont plus que des ruines envahies par les ronces. Le forum sert de carrière de pierres. Quand, plusieurs siècles plus tard, les Parisiens repartent à l’assaut des flancs de la montagne Sainte-Geneviève, Lutèce n’est plus qu’un vague souvenir.