« Oh mon dieu, c’est trop épicé ! » Cette phrase postée sur Twitter est illustrée par un verre d’eau sous le robinet. Alliance étrange entre le texte et l’image qui ne prend son sens qu’avec le hashtag #whitepeoplebelike. Traduire « White people be like » en français est délicat. La formule sonne mal et met le doigt sur un tabou racial. « Les Blancs sont comme ci, les Blancs sont comme ça »… Une façon de pointer les habitudes des Occidentaux et de se moquer de leur façon d’être, de faire et de penser.
(…) Certaines saillies sont devenues cultes sur la Toile, comme celle-ci, partagée plus de 17 700 fois sur Tumblr et plus de 1 300 fois sur Twitter. « Les Blancs ont détruit les trois quarts du monde pour importer des épices mais ils ont le culot de ne pas assaisonner leur bouffe. »
Aux Etats-Unis, l’humour en ligne participe du débat de société sur les stéréotypes et les privilèges des Blancs. Les médias l’ont compris et abondent dans cette forme de dérision. Buzzfeed, un des sites au contenu le plus viral et au trafic le plus important, publie régulièrement des articles intitulés : « 17 façons qu’ont les Blancs de danser », « Le genre de trucs que les Blancs disent », ou encore « Les 10 choses les plus racistes qui sont arrivées à des Blancs ».
On y trouve aussi des quizz afin de tester son niveau de blanchité (ou blanchitude ?) : « Bénéficiez-vous de la suprématie blanche ? », « A quel point êtes-vous un stéréotype blanc ? » Selon vos réponses, plusieurs conclusions s’offrent à vous. « Bravo, vous n’êtes pas blanc ! », « Vous n’êtes pas si blanc que ça ! » ou « Vous êtes super-blanc ! ».
(…) Cette façon très décomplexée d’évoquer la race et la couleur de peau peut paraître étrange voire problématiques en France, où les statistiques ethniques sont interdites. Mais aux Etats-Unis, tourner en dérision ces différences est devenu un sport national en 2008 grâce à Christian Land et son blog Stuff white people like (Les choses que les Blancs aiment). 138 activités prisées des Blancs y sont passées au peigne fin : boire du café, être obsédé par l’idée de sensibilisation aux problèmes de la société, aimer la diversité ethnique (mais seulement quand il s’agit de restaurants).
(…) De fait, l’ironie à propos des Blancs sur la Toile américaine est aussi la contestation d’une classe dominante, d’un ordre social. « Quand je parle de Blanc, je parle bien évidemment d’une classe sociale privilégiée. Quand une classe sociale est dominée par une couleur de peau, on fait un raccourci », explique le blogueur Christian Land.
Le phénomène s’appuie sur un travail commencé dans les années 1990 dans les universités avec les « Whiteness studies », des recherches centrées sur les raisons sociologiques, historiques et culturelles de l’identification à la « blanchité » comme construction sociale et idéologique donnant droit à des privilèges sociaux sur la base de la couleur de la peau.
(…) Mais de quelle couleur sont les gens qui font de l’humour sur les Blancs ? Toutes. « Les Blancs, dans un effort de solidarité, trouvent ça cool de se moquer de leur propre blancheur », écrit The New Republic. Mais rire d’eux-mêmes ne ferait que renforcer leurs privilèges selon le Dailydot. « Quand un groupe oppressé rit en privé, ça provoque un sentiment de soulagement et de pouvoir, mais la blague a beaucoup plus d’impact si les gens de la culture dominante sont touchés, réagissent, écoutent et s’ouvrent au dialogue ».