Voilà une élection qui devrait réjouir tous les amoureux de la langue française : Andreï Makine vient, à cinquante-huit ans, d’être élu sous la Coupole, dès le premier tour, surpassant largement ses concurrents. Frédéric Mitterrand, dont nous avions évoqué la candidature dans un billet précédent, semble avoir jugé plus prudent de se retirer : il craignait, paraît-il, que, s’il l’emportait, Makine ne s’en remette pas et ne se représente jamais. Quelle générosité !
D’origine russe, Andreï Makine (Андрей Маки́н) tient de sa grand-mère l’amour de la langue et de la littérature françaises. Fuyant l’URSS – il voit dans le totalitarisme stalinien « une réussite horrible pour répondre aux aspirations messianiques de l’Homme » -, il arrive en France en 1987 et sera naturalisé en 1996, après avoir essuyé un refus en 1991 : « C’était humiliant pour moi, qui suis imprégné de culture française. Mais je ne veux pas me plaindre. Je n’avais pas de domicile ni de travail fixes. Ils avaient sans doute raison », confie-t-il plus tard. Réflexion qui, aujourd’hui, prend une résonance singulière.
Menant une vie de bohème et de petits boulots, il a du mal à percer dans le monde de l’édition : ses manuscrits sont boudés, les lettres de refus se multiplient. En 1989, pour faire publier son premier roman, La Fille d’un héros de l’Union soviétique, il monte un canular à la Romain Gary, inventant une traductrice. Il écrit aussi sous divers pseudonymes.
En 1995, il obtient enfin la consécration avec son roman Le Testament français : il cumule les prix Goncourt, Goncourt des lycéens et Médicis. En 2005, c’est le prix Prince-Pierre-de-Monaco qui vient récompenser l’ensemble de son œuvre. En 2014, il reçoit le prix Mondial de la fondation Simone et Cino del Duca – Institut de France.
Il n’est pas certain, cependant, que son élection soit unanimement célébrée. Déjà, lors du vote, six académiciens ont marqué leur bulletin d’une croix, ce qui signifie qu’ils rejetaient tous les candidats, le meilleur d’entre eux en particulier. Comme on ne peut l’attaquer sur son art, ce sont surtout ses prises de position qui risquent de susciter l’hostilité dans une société où il sied de suivre le cours de la bien-pensance. Il défend, en effet, une conception rigoriste de la langue française, déteste aussi bien le verlan que les atteintes à la grammaire.
Pire ! L’amour qu’il porte à la France laisse transparaître une inquiétude sur son avenir et sa littérature. En 2006, il publie Cette France qu’on oublie d’aimer. Cet admirateur de Corneille, Voltaire et Camus s’écrie : « Si vous n’êtes pas Français, soyez digne de l’être. » Il s’inquiète de la tendance française à l’autodénigrement. En 2009, dans La Vie d’un homme inconnu, son personnage se moque des « écrivains larbins qui flattent l’ego des beaufs et des bobos » et le « petit roman à la française, cent pages de coucheries et de déprimes parisiennes ». Il n’a pas dû se faire que des amis !
Le nouvel élu doit être reçu par le président de la République, « protecteur de l’Académie ». Dans un an environ, il sera officiellement admis sous la Coupole. La tradition veut qu’un mot du Dictionnaire de l’Académie lui soit alors attribué. Alain Finkielkraut s’est vu confier le mot « Variété ». Suggérons pour Andreï Makine, plus fier de la France et de son patrimoine culturel que bien des Français, le mot « Intégration ».