Lancé en 2011, le Lab est une idée de Denis Olivennes. Il charge Laurent Guimier* d’imaginer pour Europe 1 un site d’actualité politique mêlant réseaux sociaux et revue de presse. Avec Benoit Raphaël, il rassemble une équipe de rédacteurs très jeune, la trentaine en moyenne, très présente sur Twitter.
À son lancement, Laurent Guimier décrivait ainsi le Lab à Erwann Gaucher, blogueur de l’actualité médiatique :
« Nous sommes partis d’une page blanche. On a enlevé tout ce qui nous agace sur les sites d’infos et organisé tout cela avec la plus grande liberté. Le Lab, c’est le meilleur du web politique. Cela peut paraître très immodeste, mais nous sommes dans une démarche novatrice et modeste à la fois. Nous voulons proposer aux internautes de trouver, filtrer, structurer le meilleur de ce qui se dit sur la politique aussi bien sur les sites d’infos que dans les conversations sur les réseaux. L’objectif est vraiment d’être des orpailleurs, de passer le web et les réseaux au tamis pour proposer les pépites aux internautes. L’objectif est de toucher un public plus jeune, intéressé à la politique, habitué à en parler sur les réseaux ».
Où en est-on trois ans plus tard ? Le Lab a réussi son pari : il est à part, il traite différemment l’actualité politique. En accordant la quasi-totalité de la place à l’anecdote, au superficiel, à l’avis de tel ministre sur la phrase de tel député, puis à l’avis d’un ami du député sur l’avis du ministre. L’éternel jeu des bisbilles politiciennes. Le Lab « exploite les déchets de l’information », selon la plume d’Aliocha. On ne peut pourtant pas dire que la presse traditionnelle soit irréprochable sur ce point. Mais là, c’est poussé à l’extrême. Disparu le fond, disparues les grandes idées. De toute façon, il n’y a pas la place d’expliquer une idée un peu complexe : elle ne tiendrait pas en 140 signes. Or l’article doit buzzer sur les réseaux sociaux, occuper l’espace médiatique. Bienvenue au royaume du manichéisme.
COMMENT SE PRÉSENTE LE LAB ?
Ce site internet présente des articles postés les uns à la suite des autres, un peu comme dans un blog. Certains sont mis en avant avec une plus grande image, et chaque post est accompagné d’un titre accrocheur. Le tutoiement est souvent de rigueur, on appelle par exemple un ministre par son prénom : « Fais gaffe à ce que tu dis sur Jeff », comprendre Jean-François Copé ou « François, Canto a un message pour toi », comprendre François Hollande et Éric Cantona.
Les rédacteurs utilisent également beaucoup le « je » : « Moi je suis UMP et je crois en l’impartialité de la justice » ou « Ça me rappelle de Gaulle condamné à mort par Vichy ».
Ces titres accrocheurs servent également d’effets d’annonces : « Martine va s’exprimer » ou « Il va parler », respectivement pour Martine Aubry ou Nicolas Sarkozy. Une fois arrivé sur la page de l’article, le titre est beaucoup plus classique, référencement dans les moteurs de recherche oblige.
DE QUELS SUJETS TRAITE LE LAB ?
De politique ! Ou plutôt de la vie politicienne. Les politiciens tous pourris ? Il est évident que si les Français se contentent de lire le Lab, c’est bien normal qu’ils finissent par le penser et se désintéresser totalement de la chose publique et de ceux qui nous dirigent. Car le Lab se consacre à ce qui fait du bruit ou à ce qui pourrait en faire. Les rédacteurs cherchent ensuite à récolter les commentaires des uns et des autres sur ces ragots et ces petites phrases. Le Lab aime le superficiel, mais de façon sérieuse, il lui accorde tout crédit, délaissant et décrédibilisant totalement le fond des débats politiques.
À QUEL PUBLIC EST DESTINÉ LE LAB ?
Le Lab est destiné à un public « connecté » pour qui les rédacteurs parcourent les réseaux sociaux à la recherche de la petite phrase qui fait polémique. Selon Stratégies.fr, le site revendiquait 900 000 visiteurs uniques en janvier 2014. La moitié de ces visiteurs viennent par les réseaux sociaux, et moins de 15 % par les moteurs de recherche.
L’INTERACTIVITÉ OU L’ACTUALITÉ PAR TWITTER
À ses débuts, le site fait appel à des blogueurs et s’efforce de promouvoir l’interactivité. Finalement, les blogueurs désertent rapidement le site et les articles ne sont quasiment jamais commentés. L’interactivité s’est très vite recentrée sur les réseaux sociaux.
Twitter est omniprésent au Lab, les illustrations sont d’ailleurs presque toutes des tweets qui font littéralement l’information. Sur le mois de juillet 2014 par exemple, plus de 20 % des articles se basent sur un tweet, systématiquement inséré dans l’article.
Le Lab emprunte également l’emploi du hashtag au réseau social au petit oiseau bleu. La coupe du monde cet été a ainsi servi de source aux rédacteurs qui justifient leurs articles sur le sujet par un #footpolitique.
C’est la politique du mot-clé et des raccourcis : tout est résumé en un mot, exit le débat constructif.
Twitter et la vie du réseau social deviennent ainsi l’information, le moyen devient un but. Si une information, aussi insignifiante soit-elle, figure sur les réseaux sociaux, alors elle a sa place sur le site du Lab. Un tweet devient un article dont le seul espoir est d’être le plus retweeté. Par exemple cet article publié pour raconter l’histoire d’un tweet de Mennucci se moquant de Jean-Claude Gaudin, où le rédacteur pousse l’enquête (sic) jusqu’à appeler l’auteur du tweet afin de recueillir son sentiment.
Twitter est dans l’ADN du site depuis sa création. Quelques mois à peine après le lancement du site, Paul Larroutourou*, alors rédacteur pour le Lab, interroge François Hollande lors de sa conférence de presse. Il lui demande pourquoi il choisit de ne pas s’exprimer à titre personnel sur Twitter. Le président répond laconiquement, mais plus que la réponse, la question installe encore un peu plus le règne de la réaction immédiate au sein des instances qui nous gouvernent.
Stratégies raconte également cette anecdote, sur l’ancien rédacteur en chef, Antoine Bayet. Il « reçoit des notifications dès qu’un membre du gouvernement tweete, c’est ainsi qu’il a repéré la bourde du community manager de Matignon qui a laissé échapper un tweet à une heure du matin, un dimanche : “In da Face Standard & Poors” (“dans ta face, Standard & Poors”), confondant son compte pro avec son perso. “Je me suis réveillé, j’ai vu ça, j’ai tout de suite fait une capture d’écran”, raconte Antoine Bayet. Résultat : un article publié dans l’heure et un “buzz” médiatique ».
Les rédacteurs se livrent même à des tweets reportages, s’attardant évidemment sur la réflexion anecdotique et la petite phrase, non sur le fond des dossiers évoqués.
Pour le mois de juillet, la palme de partage sur Facebook revient à un post relatant la réclamation d’un député PCF quant à la dissolution de la Ligue de Défense Juive : plus de 9300 « likes » ! La moyenne étant de 291 « likes » par article. Pour Twitter, c’est l’article reprenant toutes les petites phrases de Jean-Louis Debré sur Sarkozy qui a le mieux buzzé : il a été tweeté 2092 fois pour une moyenne générale de 103 tweet par article. Quant à Google+, la moyenne est de 0,6 mention par article.
LES SUJETS DES ARTICLES
Nous nous sommes arbitrairement basés sur une étude exhaustive du mois de juillet, lorsque les Français sont à la plage et que de nombreuses « lois bikinis » sont adoptées. Le résultat ? Sur 339 articles, 39 concernent Sarkozy, ses démêlés judiciaires et son retour encore présumé en politique, c’est-à-dire plus d’un par jour. 50 concernent les bisbilles et le combat des chefs à l’UMP, 28 sont consacrés à Hollande et 11 au FN. Le reste se partage aux phrases et commentaires des députés, notamment ceux des frondeurs du PS et aux diverses réactions des uns et des autres à la réforme territoriale.
LES BISBILLES POLITICIENNES
C’est l’UMP qui tient le haut du pavé : 50 articles sont consacrés à ses seules disputes pendant le mois de juillet, quasiment deux par jour. Sans oublier en plus de cela les factures de téléphone de Rachida Dati ou celles d’hélicoptères de Fillon, documents à l’appui, sortis par le Lab lui-même ; qui se déclare et qui ne se déclare pas à la course de la présidence du parti ; les avis des uns et des autres… Bref, tout ce qui éloigne les politiciens des nobles buts de la politique, vous le trouverez dans le Lab à la place d’honneur !
Citons également la course à la présidence de l’UDI et les frondeurs du PS. Le FN est plutôt absent du site, sauf si vous tapez une mauvaise adresse, la photo de Marine Le Pen s’affiche alors en grand avec un explicite « Va voir ailleurs si j’y suis ».
LA NON-INFORMATION OU LA PART BELLE À L’ANECDOTE
Même s’il se passe des choses intéressantes, Le Lab trouve le moyen de traiter ces sujets de façon totalement anecdotique. Et s’il ne se passe rien, pas de soucis, l’anecdote y suppléera.
Les états d’âme des politiciens par exemple, telle l’impatience de ce futur conseiller régional qui envoie un message à son prédécesseur censé démissionner, capture écran du texto à l’appui ou François Hollande qui ressent de l’isolement à l’Élysée et qui, attention, élégance, « mate les QAG comme si c’était un porno ».
Le Lab accorde de manière générale beaucoup de place à des non-événements, tel Sarkozy coincé 20 minutes dans un ascenseur avant sa garde à vue ou les photos prises par les ministres le 14 juillet…
La palme du comble de la non-information revient certainement à Thibaut Pézerat* pour son « article » sur la gestion des rouleaux de papier toilette de la ville de Paris, même si Sylvain Chazot* le suit de très près pour avoir relaté comment le député Razzi Hamadi a commencé une interview pour RTL au téléphone avant de la finir dans les studios ainsi que dans sa volonté de nous apprendre que la mairie de Quimper va changer de Marianne. Notons également la question de la décoration personnelle des bureaux des députés et les extraits de portraits chinois de politiciens comme Xavier Bertrand ou Jean-Christophe Cambadélis.
Également au registre de l’anecdotique, les gestes des politiciens, comme Hortefeux qui repousse la caméra d’un journaliste ou les jeux auxquels s’adonnent les députés à l’Assemblée nationale.
Cet été, c’était également la coupe du monde de football, ce qui a grandement occupé les rédacteurs, inquiets de faire partager à leurs lecteurs l’incertitude des sénateurs quant à la possibilité qu’ils regardent le quart de finale France-Allemagne, qui sont les invités de François Hollande pour regarder les matchs ou encore l’avis de François Baroin sur le jeu des Algériens…
Les « enquêtes » ou « décryptages » sont également anecdotiques ; combien de fois François Hollande a-t-il dit « je » dans son discours de 14 juillet par exemple.
Un des rendez-vous hebdomadaires du Lab, c’est le compte-rendu des questions au gouvernement (QAG) de l’Assemblée nationale. « Suivez le spectacle des questions au gouvernement ». Oui, oui, le spectacle.
Là encore, les rédacteurs ont le chic pour trouver la bafouille, le mot plus haut que les autres, la réaction d’un député ; même Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, se marre. Un effort d’illustration est tout de même fait : pour ce sujet, des captures d’écrans du direct de France 3 agrémentent les anecdotes.
À LA RECHERCHE DE LA PETITE PHRASE
Si le Lab ne trouve pas son information sur Twitter, il s’efforce de rechercher ce qui pourrait buzzer dans la presse classique : l’attitude, la phrase ou le mot intéressant pour faire un article « buzzable », selon qu’il est contextualisé ou au contraire coupé de son contexte. Une revue de presse, pompeusement appelée la « curation ». Malgré tout, c’est un des points positifs du Lab, ses rédacteurs ne se contentent pas du fil AFP, mais réalisent une revue de presse intensive des discours des politiciens. Dommage qu’elle ne soit pas consacrée au fond des sujets.
Les petites phrases occupent un tiers des articles du Lab ! Règne de la mesquinerie politicienne, elles sont systématiquement mises en avant, en gras, en caractère plus gros et encadrées de gros guillemets jaunes.
Des articles qui mettent donc en avant la métaphore de Nadine Morano sur les bisbilles à l’UMP, l’intérêt de Valls pour une phrase coquine de Clémenceau, un lapsus d’Yves Jégo ou encore la phrase de Cambadélis qui parodie Jean Gabin.
Qu’elles soient lâchées sur les plateaux de télévision ou sur Twitter, elles sont mises en scène pour leur donner un semblant d’intérêt. Comme lorsque le fils de Sarkozy défend son père sur Twitter et que le rédacteur commente « Louis Sarkozy n’est plus un enfant. Il a aujourd’hui 16 ans, et c’est la première fois que, de mémoire de Lab, on le voit s’exprimer clairement et publiquement sur la situation politique du pays et de son père. Et il assume parfaitement ses propos, la preuve par ce retweet de Guy Birenbaum ».
LES AVIS DES POLITICIENS
Le Lab, c’est également le règne du commentaire ! Celui-ci est présent partout, si certains critiquent une proposition de Ségolène Royal, ils sont tous cités puis le lecteur a droit à ce que pense Mme Royal de ces critiques. Idem pour Martine Aubry et la réforme territoriale, un véritable feuilleton en sept épisodes, disponibles là, là, là, là, là, là et là.
LES COMMENTAIRES DES RÉDACTEURS
Parfois un rédacteur a envie de commenter des tweets, il fait donc un article dessus, histoire de donner son avis.
LES INFOS EXCLUSIVES DU LAB
Lorsque le Lab obtient une information, il en fait tout un foin, même si celle-ci n’a aucun intérêt, tel ce coup de fil à Alain Lamassoure qui assure que si Jérôme Lavrilleux est exclu de l’UMP, il le sera également au PPE, son équivalent européen. Ou encore le fait que certains aient été écartés d’une réunion à l’UMP. Les deux seules informations exclusives du Lab que nous ayons trouvées pour ce mois de juillet.
LES EXCEPTIONS
Quelques rares articles sortent du lot et pourraient être qualifiés de « brève d’actualité », comparés à l’avalanche de « brève anecdotiques » qui inonde le site. Une proposition de loi sur le gaspillage alimentaire ou une contre la GPA. Citons également l’article sur le rejet de la pénalisation des clients des prostitués, l’un des rares articles avec un effort de contextualisation, mais, peut-être, est-ce dû à la dépêche AFP d’où sont tirées les informations.
LES PROTAGONISTES DU LAB
Celui qui a eu l’idée : Denis Olivennes, PDG d’Europe 1 et Président du directoire de Lagardère Active.
Ceux qui l’ont réalisé : Laurent Guimier, alors en charge de l’information numérique pour le groupe de Lagardère. Il est aujourd’hui à la tête de France Info. Il était aidé de Benoît Raphaël, également actif dans l’élaboration d’autres sites de presse numérique tels Le Plus du Nouvel Obs et Le Post (aujourd’hui Le Huffington Post)
Aurélie Marcireau, elle remplace depuis septembre 2014 Antoine Bayet, également parti à France Info pour diriger l’information numérique et les nouveaux médias. La nouvelle rédactrice en chef du Lab était auparavant rédactrice en chef adjointe à La Chaîne parlementaire (LCP).
LES RÉDACTEURS DU LAB
Sylvain Chazot : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Après avoir travaillé, entre autres, sur le site d’une radio *un peu* concurrente, j’ai traversé la rue et débarqué au Lab en mars 2014. “Profondément choqué” par principe, je scrute les postures et les positionnements iconoclastes, avec une préférence pour tout ce qui touche au FN. » Il pige également pour France Soir et il est passé par Atlantico, RTL et Ce soir (ou jamais !).
Delphine Legouté : elle se présente ainsi sur le site du Lab : « Arrivée début 2012 lorsque le Lab en était encore à ses balbutiements, j’observe sans relâche nos politiques communiquer, avec un goût prononcé pour la détection des éléments de langage, des sorties de route et des bobards. Signe particulier : PMA et théorie du genre échappent rarement à mon radar. » Elle a également travaillé dans ses stages pour Libération avec une prédilection particulière pour ce qui se rapporte à Marine Le Pen et l’immigration. Elle a également collaboré à Rue89 ainsi qu’à L’Express.
Thibaut Pezerat : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Après trois ans de télévision dans une chaîne d’info en trois lettres, je rejoins le Lab en janvier 2013. J’écris sur tout et tous mais je suis spécialisé dans le suivi de l’UMP et du centre. Ma phrase politique préférée ? “J’suis dans mon jacuzzi, t’es dans ta jalousie” ». Il tient également un blog où il a notamment écrit un article vilipendant La Manif pour tous, qui met en évidence le problème du traitement journalistique d’une information qui touche personnellement le rédacteur. « Mais à ce beau combat que l’on livre s’ajoute une problématique plus personnelle. Je suis journaliste. Et les ennemis de ma cause, j’ai dû me les coltiner. » Il a quitté le Lab à la mi-octobre 2014.
Sébastien Tronche : il se présente ainsi sur le site du Lab : « Journaliste au Lab depuis l’été 2012, je suis accroc au #directAN, fan de rappels au règlement, drogué aux questions au gouvernement et aux arcanes du Parlement ». Il a toujours été intéressé par l’actualité parlementaire. Il a un temps animé un blog sur le sujet et ses sujets sur Slate.fr reflètent également cet intérêt. Mais en s’en prenant à certains politiques, il se fait parfois brocarder. Il écrit également pour Médiapart.
Paul Larrouturou : ancien rédacteur pour le Lab alors que nous en lisions tous les articles pour cette étude. Il a maintenant migré vers… Le Petit Journal. Même amour de l’anecdote et du superficiel, il est même très officiellement en charge des off politiques… À l’écran, le vide crève encore plus les yeux qu’à l’écrit. Il se présentait ainsi sur le site du Lab : « Journaliste au Lab depuis août 2011, basque depuis 1986, je navigue entre web et radio, et à scooter (pour mieux suivre François Hollande). J’aime aussi couvrir l’actu de Nicolas Sarkozy en me rasant le matin. Et malgré ce joli (merci papa et maman), mais compliqué nom de famille en commun : non, je ne suis pas le fils de Pierre-Larrouturou-le-politique-qui-est-en-fait-mon-cousin-pas-germain. »