Les évêques américains sont actuellement en pleine retraite dans un monastère de l’Illinois afin de réfléchir sur le drame de l’homosexualité dans l’Eglise universelle et sur des solutions concrètes à lui apporter. Ils ne s’attendaient pas à recevoir une lettre du pape. Et surtout une lettre plus que critique : incendiaire. Une lettre de huit pages qui dénonce la « crise de crédibilité dont vous avez fait l’expérience en tant qu’Eglise ». D’emblée, l’accusation est nette, cinglante. Le pape blâme les évêques américains. Pour lui, dans cette affaire d’abus sexuels, ce sont d’abord et avant tout les évêques américains qui apparaissent comme les coupables. Suit un passage plus explicite et tout aussi définitif : « L’Eglise des Etats-Unis, écrit le pape, a été au cours des récentes années secouée par des scandales qui ont gravement affecté sa crédibilité. Cette crédibilité a été sérieusement atteinte par les abus mais surtout par les efforts destinés à les camoufler. Cela a amplifié le sentiment d’incertitude, de déception et de vulnérabilité parmi les fidèles. Comme vous le savez, nier la vérité, loin de résoudre les conflits, ne fait que les aggraver en provoquant de plus grands dommages qu’il nous faut maintenant réparer. »
« Nier la vérité. » Qui la nie ? Au moment où le pape vilipendait les évêques, on apprenait que l’affaire McCarrick était sur le point d’être jetée aux oubliettes du Vatican avec la mention « manque de crédibilité ». Classée, l’affaire McCarrick. Escamotée, l’affaire McCarrick. Il n’y a plus d’affaire McCarrick : voilà la vérité absolue, officielle, vaticanesque. L’odieux s’ajoute au scandale.
Le cardinal Theodore McCarrick, 88 ans, personnage incontournable de l’institution ecclésiale, ex-archevêque de Washington et à ce titre l’un des dirigeants les plus influents de l’Eglise américaine, a été pendant plus de cinquante ans un prédateur sexuel. Il a agressé à partir de 1971, peu après son ordination, de jeunes garçons de son entourage, des enfants de chœur, des dizaines, peut-être des centaines de séminaristes et de jeunes prêtres. Quand on apprit la vérité l’été dernier – cette vérité en apparence si chère au pape –, une vague d’horreur et de consternation ébranla les catholiques américains. Et puis on s’aperçut que derrière cette vérité démoniaque se cachait une autre vérité bien plus corrosive : pendant cinquante ans, l’impunité de McCarrick s’expliqua par la loi du silence dont il bénéficia jusqu’aux plus hautes sphères du Vatican.
Donc, le pape lui-même savait qui était McCarrick. Il connaissait la face cachée du personnage. Il avait lu des rapports, des témoignages sur ses agissements pervers. Le doute n’est plus permis. C’est l’ancien nonce apostolique à Washington, l’archevêque Carlo Maria Viganò, qui l’affirme depuis des mois, preuves en main. Du haut en bas de la hiérarchie, McCarrick a eu constamment l’assurance de pouvoir compter sur des complices qui resteraient muets. L’omerta fut intégrale. Au moins jusqu’en juin dernier lorsque McCarrick fut bien obligé de démissionner du collège des cardinaux. Une soupape pour les gogos. En attendant le pire. Et le pire est venu : le pape gracie McCarrick. Sans éclats, discrètement, pour ne pas bousculer les illusions.
McCarrick innocenté ?
L’enquête concernant les accusations d’un ancien enfant de chœur contre McCarrick vient de conclure que la victime autodésignée s’avère dénuée de crédibilité. Les faits se sont passés en 1972 dans la cathédrale Saint-Patrick à New York. L’ancien enfant de chœur avait alors seize ans. Il fut agressé par McCarrick dans la sacristie. Mais les enquêteurs ont trouvé deux failles qui, à leurs yeux, ne pouvaient qu’innocenter McCarrick. D’abord, le jeune garçon entra de lui-même dans la sacristie, sans y avoir été physiquement contraint. Ensuite, seize ans, n’est-ce pas l’âge du consentement ? Le sulfureux cardinal Blase Cupich, protégé du pape à Chicago, n’a-t-il pas laissé entendre récemment que le consentement mutuel changeait tout ?
C’est donc avec, à son passif, l’acquittement du plus cynique des prédateurs sexuels nourri dans le sein de l’Église, que le pape s’est permis de faire la leçon aux évêques américains. De leur parler de vérité. De leur reprocher leur défaut de transparence. De déplorer leur perte de crédibilité. Certes, l’affaire McCarrick a commencé aux Etats-Unis. Pendant des années, McCarrick traîna derrière lui une odeur de soufre qui ne trompa personne. Mais l’homme dévoyé eut tellement d’habileté et de finesse qu’il put transformer les témoins de ses actes en complices d’abord, en alliés ensuite. Cela, c’est la partie américaine de l’affaire. Elle va très loin. Car des évêques, des archevêques, des cardinaux savaient tout sur McCarrick. Une poignée de subalternes se décidèrent à avertir le Vatican, à mettre en garde les autorités contre cette gangrène qui s’incrustait et qui proliférait. En vain. C’est la partie romaine de l’affaire. Le Vatican ne répondit à aucun des messages de détresse. La mafia gay y veillait. Et dans la plus glaciale des logiques, elle se devait de sauver McCarrick. Quoi de mieux en vue de la grande réunion de tous les chefs des conférences épiscopales du monde à Rome le mois prochain sur « la protection des mineurs » ? Un vrai message : McCarrick innocent.