Le château de Tours accueille depuis 2010 des expositions superbes, consacrées à l’ensemble des champs de création. Deux étages entiers sont mis à disposition pour parcourir une exposition organisée tous les six mois par le Jeu de Paume, en collaboration avec la ville de Tours. Cette extension du célèbre monument parisien est dédiée pour les mois à venir à un photographe de renom : Lucien Hervé. Ce photographe, né au début du XXe siècle, a connu la période folle et créative des années soixante, dont il est un précieux témoin oculaire et un fervent admirateur, louant les nouvelles formes et matériaux dont les constructeurs bénéficient.
Le Corbusier, le tournant décisif
Lucien Hervé est surtout connu pour être photographe d’architectes, renommée qu’il acquiert par le biais de sa collaboration avec le grand maître dans les années soixante. Un jour, sur un coup de tête, il photographie un de ses bâtiments et envoie un jeu de plus de cent photographies à Le Corbusier. Il en deviendra le photographe officiel pendant plus de vingt ans et entiendra avec lui une relation de confiance absolue. Cette rencontre est d’autant plus importante que c’est elle qui confirme le désir de Lucien Hervé de devenir constructeur également, mais lui, dans le domaine de l’image : « Ma vision tend à être aussi rigoureuse qu’un tableau. J’ai des critères de peintre. » Son travail s’appuie sur la rigueur implacable des cadrages et une maîtrise des jeux de lumière. Tout est parfaitement ordonné, cadré, presque mathématique. Sa carrière lancée, il travaillera pour d’autres illustres bâtisseurs comme Alvar Aatlo, Walter Groius, Marcel Breuer, Oscar Niemeyer, Jean Prouvé. Il est envoyé en reportage aux quatre coins du monde sur les lieux de construction, pour saisir en image les moindres recoins et les grandes lignes des lieux encore inhabités, comme lorsque Le Corbusier lui demande de partir illico pour Marseille prendre La Cité radieuse fraîchement terminée.
Le choix de la photographie par évocation
Au fil des années, il traite des sujets de plus en plus par évocation, isolant un élément ou une lumière, plus que par description des sujets, en tendant toujours à plus de sobriété. D’ailleurs son travail est réalisé presque exclusivement en noir et blanc. Ce morcellement lui fait produire, selon certains critiques, des photos trop conceptuelles. Un reproche qui ne tient pas face à la vision de Lucien Hervé. Dans ces photos, qui ne laissent souvent apparaître aucune présence humaine évidente, l’homme est au contraire omniprésent, puisque chaque bâtiment porte en lui, intrinsèquement, le travail et l’implication de centaines d’humains. Vision qui est particulièrement ressentie dans ses œuvres sur l’art sacré, une de ses thématiques phares, comme son jeu de photographie sur l’abbaye cistercienne du Thoronet. « Bien d’entre vous pourront me faire le reproche, avec justesse, de morceler la vision et de faire une “nature morte” du monde qui m’entoure. Même la nature morte porte témoignage de la vie, des gestes, des intentions, des harmonies, des absences, des drames. » Au récepteur de percevoir la délicatesse de la vision pleine de sens, à travers ce travail magnifique.
Dominique Bourcier – Présent
- Lucien Hervé – Géométrie de la lumière. Jusqu’au 27 mai 2018, château de Tours.
Photo de Une: L’abbaye du Thoronet.