Désormais, la grammaire est “négociable”!

Alors que le compte Twitter de l’Élysée a été raillé pour ses fautes d’orthographe, Télérama révèle que, d’après les inspecteurs d’académie, la grammaire est «négociable». Pour Jean-Paul Brighelli, sentant le vent tourner, le pédagogisme fait le maximum de dégâts.

FIGAROVOX. – Ce week-end, des internautes ont relevé de nombreuses fautes d’orthographe sur le compte Twitter de l’Élysée. De quoi ces fautes sont-elles le signe?
Jean-Paul BRIGHELLI. – Vous avez mauvais esprit. Si vous aviez suivi les formations dispensées auprès des enseignants de français par les inspecteurs de leur discipline afin de les initier aux nouveaux programmes de Lettres, vous sauriez que dorénavant, toute faute est négociable, comme le sous-entend l’article de Télérama. Les commentaires des fautes relevées par votre journal et par certains leaders politiques mal intentionnés ne prouvent qu’une chose: seuls les responsables du compte Twitter de l’Élysée sont au courant des dernières dispositions promulguées par Najat Vallaud-Belkacem et les grandes intelligences qui la secondent rue de Grenelle. Par exemple, «c’est vous qui auraient le dernier mot» est une formulation en phase avec les recommandations officielles: le délégué aux gazouillis élyséens a bien noté que le «vous» marquaient (orthographe modernisée…) un pluriel — et l’a donc répercuté sur le «auraient» qui suit. Il faut être singulièrement réactionnaire pour suggérer un «aurez» qui est très Ancien régime — avant 2012. Comme dit le dernier prix Nobel de Littérature: «The times they’re changin’…»
Quant à «soldaires» au lieu de «solidaires», je remarque que là aussi le pluriel est respecté, et que si vous le dites vite, le compte est presque bon — de la même manière que la plupart des élèves, aujourd’hui, écrivent «boulverser»: faudrait pas que des «e» muets se mettent à faire les malins.(…)

Le pédagogisme a inspiré les nouveaux programmes dans le détail — et dans l’application, ce qui est encore plus grave. Les programmes d’Histoire ont été inspirés par Laurence de Cock, qui anime un groupuscule idéologique, Aggiornamento, qui ne représente qu’elle, mais qui est puissant dans ce ministère des valeurs renversées. François Fillon a dénoncé à juste titre l’emprise de cette secte sur la rue de Grenelle, qui lui a fait prendre en son temps les vessies pleines d’air des «compétences» pour la lanterne de Diogène. Dans son discours du 18 novembre dernier, il déclarait: «La compétence et le dévouement des enseignants ne sont pas en cause. C’est la démission de l’État devant les syndicats, la dictature d’une caste de pédagogistes prétentieux et des réseaux de pouvoirs au sein de l’éducation nationale qui est responsable du désastre.» Sentant l’imminence d’un changement, les bêtes nuisibles font le maximum de dégâts avant de partir. J’aimerais assez qu’un candidat ou une candidate à la présidentielle dise haut et fort qu’il leur sera demandé des comptes. La culture de l’excuse et de l’impunité, à l’école comme dans la vie, doit s’arrêter.

Plus largement, que pensez-vous du rapport qu’entretiennent aujourd’hui les hommes politiques avec la langue française. Le thème de l’homme d’État lettré n’a-t-il pas vécu?

Le temps où Georges Pompidou, agrégé de Lettres, citait Paul Eluard lors d’une conférence de presse (un genre qui s’est perdu, depuis que les hommes d’État lisent sur leurs téléprompteurs les réponses qui ont été précédemment distribuées aux journalistes), ce temps est derrière nous. Nous avons élu des pantins pitoyables dont le quotient culturel est en dessous du niveau de la mer, et qui ont besoin de «plumes», comme on dit depuis qu’on n’ose plus parler de «nègres», pour avoir de l’esprit et des lettres à leur place. Ce n’est pas un hasard si François Hollande s’est flatté de ne jamais lire de romans. Un journal du soir qui fut jadis, avant qu’il ne tombe entre les mains des marchands de soupe et d’illusions, une référence mondiale de la culture et du beau langage tels qu’ils se pratiquaient en France, s’est demandé doctement s’il était bien nécessaire qu’un chef d’État fût cultivé — après tout, Trump… Il reste à porter au pouvoir de nouvelles équipes, dont la compétence ne fera pas obstacle à la culture, et où la spontanéité ne sera pas un prétexte aux incongruités langagières.

Agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint- Cloud, Jean-Paul Brighelli est enseignant à Marseille, essayiste et spécialiste des questions d’éducation. Il est l’auteur de La fabrique du crétin (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2005). Son dernier livre, Voltaire ou le Jihad, le suicide de la culture occidentale, est paru en novembre 2015 aux éditions de l’Archipel.

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